Université de Liège Département de philosophie

Centre de recherches phénoménologiques

6e séminaire annuel 2012: L'Expérience subjective: Approches phénoménologiques de la conscience phénoménale

Université de Liège, 23-27 avril 2012

Résumés

The Concept "I" as a Phenomenal Concept (Marie Guillot)

This paper presents and defends a theory of the concept "I" as a phenomenal concept, which, to my knowledge, has not been explored so far. That model, applied to the special case of the formation and use of the concept "I", allows to explore the more general intuition that indexical thinking stands halfway between conceptual and nonconceptual thinking, and exhibits elements of both. It also fleshes out the intuition that the special way a subject is able to think about herself qua herself, namely that intentional act which modern philosophers from Descartes to Fichte have deemed constitutive of subjecthood, is grounded in the qualitative dimension of phenomenal consciousness (rather than, for example, in a mere act of self-reference).

CHALMERS, D. (2003). "The Content and Epistemology of Phenomenal Belief". In Smith, Q. And Jokic, A. (eds.), Consciousness: New Philosophical Perspectives. Oxford: Oxford University Press.
JACKSON, F. (1982). "Epiphenomenal Qualia." Philosophical Quarterly 32, pp. 127-36.
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PAPINEAU, D. (2007a). « Phenomenal and Perceptual Concepts. » In T. ALTER and S. WALTER (eds), Phenomenal Concepts and Phenomenal Knowledge: New Essays on Consciousness and Physicalism. Oxford University Press.
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Brentano et le problème de la conscience phénoménale (Maxime Julien)

Récemment, Brentano opére un surprenant come-back dans la littérature contemporaine de la philosophie de l'esprit. Comme l'a montré Kriegel dans un récent article, l'aspect le plus saissant et le plus actuel des thèses de Brentano concerne la nature de la conscience elle-même. On peut dire sans trop risquer de s'avancer que ce retour à Brentano s'inscrit dans le cadre d'un intérêt récent pour le caractère problématique de la conscience phénoménale, qui est aujourd'hui le sens de la conscience à expliquer. En suivant Levine et Kriegel, on peut raisonnablement supposer que la conscience phénoménale recouvre deux composantes distinguées à la réflexion mais intimement connectées dans l'expérience: l'aspect qualitatif ou les qualia et la subjectivité, ce que d'autres comprennent sous le terme de "mienneté". Dans la première session de cette communication, je me propose de dégager les éléments pertinents pour le traitement du problème de la conscience phénoménale qui dessinent la conception que Brentano se faisait de la conscience dans sa Psychologie du point empirique ainsi que dans différents passages clés de sa Deskriptive Psychologie. Dans la seconde session de cette communication, je me propose d'examiner le bien-fondé de certaines récentes interprétations représentationnalistes qui font de Brentano un précurseur de nos actuelles théories d'ordre supérieur. Enfin, dans un dernier moment et sur la base de critiques de la précédente interprétation, je propose la défense d'une version alternative, de nature méréologique de la doctrine de la conscience de Brentano qui met l'accent sur l'unité de la conscience et le problème de la complexité.

Quelle conscience durant le coma? (Steven Laureys)

Plusieurs états indiquent une perte de conscience: le coma, l'anesthésie, le sommeil. L'étude de l'état 'végétatif', un éveil sans signes de conscience maintenant appelé syndrome d'éveil non-répondant, souligne combien les limites de la conscience sont incertaines, mais aussi combien il est urgent de les explorer.

L'objectif de notre équipe est d'accroître notre connaissance du fonctionnement cérébral résiduel des patients qui survivent à une atteinte traumatique ou hypoxique-ischémique sévère du cerveau mais restent en coma, en état "végétatif", en état de conscience minimale ou en locked-in syndrome. Ces patients posent en effet des problèmes diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques majeurs. L'étude de tels patients est aussi susceptible d'améliorer notre connaissance de la conscience humaine. L'utilisation croissante de la neuro-imagerie fonctionnelle (tomographie par émission de positons, électroencéphalographie à haute densité et imagerie par résonance magnétique structurelle et fonctionnelle) nous permet de mieux déchiffrer les lésions des patients dont le cerveau est gravement atteint et de mieux évaluer le fonctionnement résiduel des patients dits "inconscients".

From unresponsive wakefulness to minimally conscious PLUS and functional locked-in syndromes: recent advances in our understanding of disorders of consciousness. Bruno et al J Neurol. 2011 Jul;258(7):1373-84.
http://www.coma.ulg.ac.be/papers/vs/Bruno_Vanhaudenhuyse_JNeurology2011.pdf
Coma and consciousness: Paradigms (re)framed by neuroimaging. Laureys S and Schiff ND. Neuroimage. 2011 Dec 27. [Epub ahead of print]
http://www.coma.ulg.ac.be/papers/vs/laureys_schiff_NeuroImage_2012.pdf
Dualism persists in the science of mind. Demertzi et al Ann N Y Acad Sci. 2009 1157:1-9.
http://www.coma.ulg.ac.be/papers/consciousness/demertzi_ANYAS09.pdf
Attitudes towards end-of-life issues in disorders of consciousness: a European survey. Demertzi et al J Neurol. 2011 Jun;258(6):1058-65.
http://www.coma.ulg.ac.be/papers/vs/demertzi_QoL_LIS_JNeurol2011.pdf
A survey on self-assessed wellbeing in a cohort of chronic locked-in syndrome patients: happy majority, miserable minority Bruno et al British Medical Journal - Open (2011) 23 February 2011
http://www.coma.ulg.ac.be/papers/vs/LIS_BMJ_2011.pdf
From the armchair to the wheelchair: how massive bodily changes are integrated in their experienced identity by patients with a locked-in syndrome Nizzi et al Consciousness and Cognition 2011 in press
http://www.coma.ulg.ac.be/papers/LIS/Nizzi_LIS_Consc&Cogn2011.pdf

Ni fantôme ni zombie: L'émergence de la conscience subjective dans le flux des expériences (Bruno Leclercq)

Il convient de distinguer deux lignes argumentatives qui sont souvent entremêlées dans la mise en cause du primat du point de vue de la "première personne" au profit d'une "hétéro-phénoménologie". L'une est une thèse de philosophie du langage et elle affirme que les concepts qui servent à décrire la conscience - le vocabulaire de la phénoménologie - relèvent (comme ceux de n'importe quel langage) des contraintes d'un usage social (il n'y a pas de langage privé), de sorte que leurs critères d'usage correct sont essentiellement intersubjectifs (et non essentiellement subjectifs) et que l'usage à la première personne est dérivé de l'usage à la troisième personne. L'autre, plus radicale, est une thèse de philosophie de l'esprit est elle affirme que les éléments subjectifs des phénomènes de conscience (la sensation de douleur, l'image mentale qui me vient à l'esprit lorsque je vise une signification, l'impression que j'ai de comprendre subitement comment on applique une règle, l'impression que j'ai de vouloir agir de telle ou telle manière...) n'en sont pas des composantes fonctionnelles essentielles mais seulement des épiphénomènes. Au fantôme dans la machine succède le zombie... Cette seconde thèse nous semble à la fois supportée et nuancée par l'idée (dennettienne) que, loin de reposer dans un opérateur mental central, la conscience est largement distribuée sur une multitude de sous-processus physiques et connaît dès lors une multitude de versions différentes et seulement partiellement intégrées. En même temps qu'elle met radicalement en question l'idée d'une conscience subjective jouissant d'une certaine "unité transcendantale" (l'idée que le "je pense doit pouvoir accompagner chacune de mes représentations"), une telle conception de la conscience impose, en effet, de repenser la notion même d'"épiphénomène". A cet égard, il semble qu'en explorant, à la suite de Stumpf et James, la question de la temporalité de la conscience et des synthèses passives qui l'animent, Husserl ait précisément confié à la phénoménologie la mission de répondre à la question de savoir comment une conscience subjective peut émerger d'un flux continu et non unifié d'expériences diverses.

Disjunctivism and puzzling phenomenal characters (Roberta Locatelli)

Phenomenal disjunctivism claims that perception and hallucination have different phenomenal characters, because perception has a distinctive phenomenal character which is determined by the mind-independent objects, that hallucinations cannot share. So, two experiences might have different phenomenal characters while being subjectively indistinguishable. In the present talk, I will show that phenomenal disjunctivism relies on an illegitimate conflation of different and mutually exclusive notions of phenomenal character and is hence inconsistent. I will then make a diagnosis of the reasons that lead certain disjunctivists to this inconsistency. The main reason i will indicate is that they seek to achieve an impossible (and indeed not required) aim: inscribing the ontological commitment to the mind-independent world in something which is merely accessible through introspection. I will then show that it is not only impossible, but unnecessary, to reach this goal, which seems a necessary condition of naive realism only to one who is misled by the skeptical reasoning. I will then exploit these results to show that an account of hallucinations consistent with naïve realism does not require phenomenal disjunctivism, provided one properly understands naïve realism and dismisses the skeptical threat.

The Relationship Between Phenomenal Consciousness and Intentionality in Light of Michel Henry's Material Phenomenology (Andrea Sebastiano Pace Giannotta)

In the essay "Hyletic Phenomenology and Material Phenomenology" (1990), Michel Henry addresses a crucial phenomenological issue: the relationship between phenomenal consciousness and intentionality. In particular, a central thesis of Husserl's phenomenology, that marks the detachment of Husserl from Brentano, is the thesis that intentionality is not a feature of every mental phenomena, since there is a dimension of consciousness that lacks the property of intentionality: the hyletic dimension. A limit of Husserl's reflection, however, is that of not having analyzed in depth the relationship between these two dimensions of subjectivity: intentional morphè and sensible hyle. Reconnecting himself to Husserl's Lectures on the Internal Consciousness of Time Henry resumes and values a thesis that emerges in them, though to be later set aside: the impressional nature of consciousness, in all of its modalities. According to this view - placed by Henry at the basis of its material phenomenology - the hyletic, then phenomenal dimension of consciousness constitutes its essence and also the foundation of intentionality. In this work, I will show how this thesis can be articulated, through the phenomenological mereology, arguing the existence of an unilateral founding relation of the intentional morphè on the sensible hyle. Then, I will indicate some implications of this thesis on the contemporary debate in philosophy of mind, in relation to the so-called mind-mind problem (foundation of the cognitive mind on phenomenal consciousness) and the mind-body problem (foundation of mind on the material and sentient body, or flesh). Then, emphasizing the continuity that exists between Henry's perspective and Husserl's reflection on the genetic phenomenological method, I will show how this view is able to address the difficulties that arise from the conflict between the trascendental approach of phenomenology (and its subsequent antinaturalism) and the need to recognize and investigate the relationship that exists between consciousness and material nature. A perspective that also constitutes an alternative to the paradigm currently dominant in philosophy of mind - i.e. scientific naturalism, also in its anti-reductionist version - in the attempt to address the "hard" problem of "the place of consciousness in nature".

La naturalisation de la conscience phénoménale en débat. Ce que Merleau-Ponty pourrait répondre au scientisme sellarsien (Jeanne-Marie Roux)

Wilfrid Sellars a décrit dans un article de 1963, « La philosophie et l'image scientifique de l'homme », le conflit entre deux images de l'homme-dans-le-monde: l'image manifeste de l'homme-dans-le-monde, homogène au monde tel qu'il nous apparaît, et l'image scientifique de l'homme-dans-le-monde, laquelle correspond au contraire à un point de vue objectif posé sur le monde, et à une disqualification de l'image manifeste comme source d'une moindre intelligibilité. Or, Wilfrid Sellars juge que l'image manifeste doit être remplacée par l'image scientifique mais qu'elle ne doit pas disparaître pour autant, mais être naturalisée, et permettre ainsi de compléter la seconde, laquelle serait donc en tant que telle insuffisante. C'est ce difficile arbitrage, qui met en scène à la fois les motivations de la naturalisation de la conscience phénoménale et la résistance de celle-ci à celle-là, que nous voudrions examiner, en proposant, comme perspective critique à cette entreprise, la démarche adoptée par Merleau-Ponty dans La phénoménologie de la perception. Contre toute naturalisation de la conscience phénoménale, il faut reconnaître son irréductibilité, et contre toute tentative de choisir une image contre l'autre, reconnaître au contraire leur complémentarité, leur profonde continuité, et cette source commune qu'est, pour Merleau-Ponty, l'existence d'un sens immanent au sensible. Tant la volonté de naturalisation de la conscience phénoménale procède souvent d'un aveuglement, ou d'un mépris, à l'égard des modes non objectivistes d'intelligibilité du monde, lesquels, dotés de leur cohérence propre, existent pourtant et ne constituent en rien, par eux-mêmes, des obstacles au progrès des sciences de la nature.

Quelles perspectives pour la réduction causale de la conscience phénoménale chez John Searle? (Romain Vincent)

Le philosophe américain John Searle a émis la thèse selon laquelle l'irréductibilité ontologique de la conscience phénoménale n'était pas un obstacle à son explication scientifique. Selon lui, si la conscience ne peut être réduite à son substrat matériel, elle peut en revanche être réduite à ses causes. Il s'agirait là de la seule manière réaliste de solutionner le fameux problème philosophique du rapport entre le corps et l'esprit. Malgré le caractère relativement intuitif de cette proposition, celle-ci reçu un accueil mitigé ; certains philosophes, comme David Chalmers, reprochant à Searle de se restreindre à un discours programmatique. Je tâcherai quant à moi d'interroger la notion de « réduction causale » pour déterminer si celle-ci permet effectivement de nous éclairer sur la nature de la conscience phénoménale.

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