16e séminaire annuel 2022: Il ne suffit pas d'ouvrir les yeux: Intuitions médiées et dispositifs producteurs d'évidence
Université de Liège, 2-6 mai 2022
Programme
Lieu: Salle de l'Horloge (Place du Vingt-Août 7, Bât. central, aile des Jésuites, 1er étage).
[Montrer / Cacher tous les résumés]
Lundi 2 mai
- 9h30 Bruno Leclercq (univ. de Liège / Creph), Mediated self-evidence / L'évidence médiée.
- 10h20 Discussion.
- 10h45 Arnaud Dewalque (univ. de Liège / Creph), Immediate Cognition in Early Phenomenology.
- 11h35 Discussion.
- 12h Repas.
- 13h30 Olivier Dubouclez (univ. de Liège), Intuition et immédiateté chez Descartes et dans la philosophie moderne.
- 14h20 Discussion.
- 14h45 Philipp Berghofer (Universität Graz), The Phenomenology and Epistemic Role of Intuitions.
- 15h35 Discussion.
- 16h15 Denis Seron (univ. de Liège / Creph), Quelques difficultés de l'empirisme. Résumé
- 17h05 Discussion.
Une thèse centrale de l'empirisme est qu'il existe une
relation d'équivalence ou de traductibilité entre propriétés phénoménales et
propriétés objectives. Cette thèse présente d'importantes difficultés et a fait
l'objet, au vingtième siècle, d'objections puissantes. J'en discuterai les difficultés
les plus significatives, en partant de Sellars et de Chisholm.
Mardi 3 mai
- 9h30 Laurent Perreau (univ. de Franche-Comté), Ce qui va de soi. Perspectives phénoménologiques.
- 10h20 Discussion.
- 10h45 Marcin Schulz (Univ. libre de Bruxelles / FNRS), Dans quelle mesure l'intuition herméneutique est-elle immédiate? Autour de la lecture ontologique de l'intuition chez le jeune Heidegger. Résumé
- 11h35 Discussion.
- 12h Repas.
- 13h30 Delia Popa (Villanova University, Philadelphia), L'inconscient social de la perte de l'évidence naturelle.
- 14h20 Discussion.
- 14h45 Grégory Cormann (univ. de Liège / Creph) et Jérôme Englebert (univ. Libre de Bruxelles, Université Catholique de Louvain), Phénoménologie de l'objet transitionnel: Winnicott au prisme de l'anthropologie française de la technique. Résumé
- 15h35 Discussion.
- 16h15 Alexandre Feron (univ. de Liège / Creph), Transparence, translucidité et opacité dans la phénoménologie de Sartre. Résumé
- 17h05 Discussion.
Si la plupart des commentateurs problématisent l'idée de l'intuition
herméneutique à l'horizon de la question plus générale de la reprise heideggérienne de l'intuition catégoriale husserlienne ou
s'arrêtent au constat de son caractère paradoxal (l'intuition herméneutique comme donation à la fois immédiate et médiée), nous
voudrions déployer cette idée dans son contexte problématique propre afin de répondre à la question de savoir dans quelles limites
l'idée de l'intuition herméneutique est capable d'assurer la donation immédiate de la vie à elle-même et, par conséquent, de sauver,
malgré la critique natorpienne, le principe des principes de la phénoménologie. Dans la mesure où l'assimilation de l'originaire avec
le factif va de pair chez Heidegger avec l'affirmation selon laquelle la significativité antéprédicative et contextuelle est antérieure
dans l'ordre de la donation à la donnée sensible, Heidegger ne peut plus soutenir que l'intuitivité catégoriale doive son caractère
intuitif à sa fondation sur l'intuition sensible. Notre thèse est que si Heidegger parvient à penser une certaine réceptivité
herméneutique, c'est grâce à l'ontologisation préalable de la donation ["Es gibt"] qui n'est dès lors plus un concept opératoire
d'une considération gnoséologique, mais est d'emblée problématisée dans la perspective historique-originaire et finalement ontologique
de l'Er-eignis en tant qu'avoir-lieu de la vie, et cela dès 1919.
Heidegger comprend la vie factive comme la possibilisation concrète et originairement historique du monde, ce dernier désignant à son tour la détermination quidditative et donc l'actualisation de la vie. La différence entre la vie et le monde n'étant que modale, la structure intentionnelle de ce "tout" de l'expérience factive s'avère être entièrement noématique et schématise la dynamique du vivre comme mouvement de la détermination quidditative de l'expérience. L'événement appropriant qu'est cette "mondanisation" s'accomplit comme une réarticulation réciproque de la prédétermination catégoriale du vivre et de la teneur quidditative effectivement vécue (le "monde"), les deux se trouvant ainsi transformées. Ce mouvement circulaire et originairement historique étant celui de l'intuition herméneutique, il se pose la question de l'immédiateté de cette intuition. Pour y répondre, nous recourrons à la distinction heideggérienne entre le "quoi" et le "comment" érigée - suite à la radicalisation de la distinction husserlienne entre la généralisation et la formalisation - en une distinction forte entre deux registres d'intelligibilité: un sens (un "quoi") - pour autant qu'il soit compris selon sa signifiance à chaque fois occasionnelle et contextuelle - se réarticule avec la prédétermination contextuelle et catégoriale de la vie (le "comment") et, réciproquement, la codétermine. Le sens vécu est ainsi subi, éprouvé, accueilli ou encore appliqué. Le comprendre est donc toujours une performation de sens et, finalement, la transformation créatrice de l'être de la vie. Une fois compris dans sa dimension indicative, occasionnelle et non objective, un sens fonctionne comme une prédétermination (le "comment") de l'horizon d'attente du vivre et est ainsi (pré)saisi par une simplex apprehensio antéprédicative: le significatif n'est immédiat que pour autant qu'il soit pris comme une forme du vivre (Vorgriff). C'est donc dans la détermination quidditative (mais non pas matérielle) de la forme d'appréhension et, plus précisément, du fait même de la donation de l'étant que l'on trouve le moment pathique du comprendre. Cette intuitivité immédiate reste pourtant médiée: la tendance d'objectivation propre à la vie fait que les déterminations quidditatives à travers lesquelles la vie s'adresse la parole [sich ansprechen] circulent dépourvues d'ancrage dans la cohésion de la vie et c'est à l'effort compréhensif de rétablir le lien [Bezug] significatif entre elles.
Heidegger ne cessera de problématiser le moment pathique du comprendre durant les années 1920 quand se suivent l'interprétation kaïrotique de la phronesis, la lecture aléthéiologique de l'intuition catégoriale et de l'évidence husserliennes et la thèse sur le schématisme kantien. C'est enfin dans ce contexte que le terme heideggérien de "eigentlich" trouve sa signification proprement phénoménologique: sont qualifiées d'eigentlich les formes d'intuition, de comprendre ou d'être (les "existentiaux") contribuant à la réarticulation de l'existence. C'est donc l'idée de "l'être soi-même" et, plus généralement, le paradigme événementiel de la donation qui permettent à Heidegger de répondre au constructivisme natorpien, ainsi qu'au relativisme inhérent à la vision objective de l'histoire.
Heidegger comprend la vie factive comme la possibilisation concrète et originairement historique du monde, ce dernier désignant à son tour la détermination quidditative et donc l'actualisation de la vie. La différence entre la vie et le monde n'étant que modale, la structure intentionnelle de ce "tout" de l'expérience factive s'avère être entièrement noématique et schématise la dynamique du vivre comme mouvement de la détermination quidditative de l'expérience. L'événement appropriant qu'est cette "mondanisation" s'accomplit comme une réarticulation réciproque de la prédétermination catégoriale du vivre et de la teneur quidditative effectivement vécue (le "monde"), les deux se trouvant ainsi transformées. Ce mouvement circulaire et originairement historique étant celui de l'intuition herméneutique, il se pose la question de l'immédiateté de cette intuition. Pour y répondre, nous recourrons à la distinction heideggérienne entre le "quoi" et le "comment" érigée - suite à la radicalisation de la distinction husserlienne entre la généralisation et la formalisation - en une distinction forte entre deux registres d'intelligibilité: un sens (un "quoi") - pour autant qu'il soit compris selon sa signifiance à chaque fois occasionnelle et contextuelle - se réarticule avec la prédétermination contextuelle et catégoriale de la vie (le "comment") et, réciproquement, la codétermine. Le sens vécu est ainsi subi, éprouvé, accueilli ou encore appliqué. Le comprendre est donc toujours une performation de sens et, finalement, la transformation créatrice de l'être de la vie. Une fois compris dans sa dimension indicative, occasionnelle et non objective, un sens fonctionne comme une prédétermination (le "comment") de l'horizon d'attente du vivre et est ainsi (pré)saisi par une simplex apprehensio antéprédicative: le significatif n'est immédiat que pour autant qu'il soit pris comme une forme du vivre (Vorgriff). C'est donc dans la détermination quidditative (mais non pas matérielle) de la forme d'appréhension et, plus précisément, du fait même de la donation de l'étant que l'on trouve le moment pathique du comprendre. Cette intuitivité immédiate reste pourtant médiée: la tendance d'objectivation propre à la vie fait que les déterminations quidditatives à travers lesquelles la vie s'adresse la parole [sich ansprechen] circulent dépourvues d'ancrage dans la cohésion de la vie et c'est à l'effort compréhensif de rétablir le lien [Bezug] significatif entre elles.
Heidegger ne cessera de problématiser le moment pathique du comprendre durant les années 1920 quand se suivent l'interprétation kaïrotique de la phronesis, la lecture aléthéiologique de l'intuition catégoriale et de l'évidence husserliennes et la thèse sur le schématisme kantien. C'est enfin dans ce contexte que le terme heideggérien de "eigentlich" trouve sa signification proprement phénoménologique: sont qualifiées d'eigentlich les formes d'intuition, de comprendre ou d'être (les "existentiaux") contribuant à la réarticulation de l'existence. C'est donc l'idée de "l'être soi-même" et, plus généralement, le paradigme événementiel de la donation qui permettent à Heidegger de répondre au constructivisme natorpien, ainsi qu'au relativisme inhérent à la vision objective de l'histoire.
Dans cet exposé, nous souhaitons en réalité nous tenir
au plus près de la description phénoménologique que Winnicott fait de l'objet ou de la sphère transitionnelle en
substituant à l'arrière-plan psychanalytique de Winnicott, qui insiste sur la dimension encore illusoire de cette
expérience (renvoyant à l'hypothèse d'un état antérieur de fusion mère-enfant), les ressources venant des travaux
de psychologie expérimentale de l'enfant de Philippe Rochat et des réflexions cliniques de Jean-Marie Gauthier,
d'une part, ainsi que de l'anthropologie des "techniques du corps" développées par Marcel Mauss et amendées par
François Sigaut. Cette contribution s'inscrit dans un projet plus vaste de compréhension de l'expérience intuitive
et préréflexive de soi et du monde dans le domaine de la phénoménologie clinique.
Notre intervention aura pour objet d'étudier les différents usages des termes
de "transparence", de "translucidité" et de "opacité" dans les écrits phénoménologiques de Sartre. Alors que l'on considère
habituellement que chez Sartre la "transparence" relève de la conscience réflexive (renvoyant à la capacité que la conscience
aurait de fait sinon de droit de se connaître pleinement), nous chercherons à montrer qu'en dehors d'un usage éthique (l'idéal
d'une transparence interindividuelle), la notion de transparence caractérise en fait fondamentalement la conscience d'objet,
c'est-à-dire la conscience en tant qu'elle se rapporte intuitivement à un objet. Nous nous demanderons alors si cela ne doit
pas nous conduire à repenser le rapport entre visible et invisible dans la phénoménologie sartrienne: bien loin que l'opacité
désigne un régime d'invisibilité s'opposant à la pleine visibilité d'un phénomène transparent, c'est au contraire pour Sartre
l'opacité d'un phénomène qui le rend visible (et intuitionnable) et la transparence de la conscience qui la rend invisible et qui
fait qu'elle échappe à toute saisie intuitive. La méconnaissance de soi ne serait donc pas à penser comme une opacité à soi mais
au contraire comme un "mystère en pleine lumière".
Mercredi 4 mai
- 9h30 Sonja Rinofner-Kreidl (Universität Graz), Two-Tiered Value Constitution and the Horizontality of Value Perception: How to Get from Moral Intuitions to Real Values.
- 10h20 Discussion.
- 10h45 Emanuela Carta (Katholieke Universiteit Leuven), Husserl on Justified Emotions. Résumé
- 11h35 Discussion.
- 12h Repas.
- 13h30 Mathieu Hubert (univ. de Liège), Des médiations du jugement et de la perception chez Montaigne. Résumé
- 14h20 Discussion.
- 14h45 John Rogove (Archives Husserl de Paris), Sens, non-sens, évidence: l'irréductibilité de l'intuition eidétique. Résumé
- 15h35 Discussion.
- 16h15 Augustin Mbenga Isola (Univ. catholique du Congo, Univ. catholique de Louvain), Signe et évidence dans la phénoménologie de Paul Ricœur. Résumé
- 17h05 Discussion.
Recent influential work has focused on Edmund Husserl's account of the
justification of our beliefs and has shown that, on his view, evidence is the necessary and sufficient condition for having
justification to believe (Berghofer 2018, 2019; Hopp 2011). Drawing inspiration from this work, this paper aims to carefully
investigate Husserl's unexplored account of justified emotions, and to draw parallels between it and his account of the
justification of our beliefs. In order to do that, the paper focuses on a group of manuscripts written in the years 1902-1911, but
only recently published in the second volume of Husserliana XLIII: Studien zur Struktur des Bewusstsein. Gefühl und Wert; and, in
particular, on the texts collected in the Konvolut über Billigung. As I argue, in these texts, Husserl holds that emotions are
justified if and only if we are in a position to recognize their correctness; and we are in a position to recognize their correctness
if and only if we are in a position to approve of them with evidence. Crucially, then, Husserl holds that our access to the correctness
of our emotions ultimately depends on i) whether they can be objects of our acts of approval and on ii) the evidence with which such
acts can be given to us. The upshot is that carefully reading these texts can teach us important lessons about the relation between
justification, truth, and evidence.
En examinant ce qui altère et corrompt le jugement, Montaigne
découvre que les médiations et préjugés intellectuels sont également des médiations et des modifications perceptives.
Ce que l'on croit et ce que l'on perçoit se mêlent, et les Essais décrivent inlassablement et diversement ce rapport
médié à "ce qui est", à travers l'analyse de la "coutume" et de "l'usage", qui nous "dérobe le vrai visage des
choses", mais aussi par l'étude de "la force de l'imagination", et surtout, enfin, par la puissance des passions.
C'est ainsi, par exemple, que l'avocat que l'on a "pris en haine" devient, du jour au lendemain, "inéloquent".
Historiquement, les analyses montaniennes seront approfondies par les auteurs classiques, de Descartes à Malebranche,
et sa "phénoménologie morale" (Hugo Friedrich) ira jusqu'à anticiper les développements des sciences humaines au
vingtième siècle.
Cette intervention pourra se lire comme une défense nuancée du caractère
donateur d'évidence des intuitions d'un point de vue husserlien. Notre angle d'attaque sera celui d'une démonstration de la capacité
de la seule intuition à différencier divers niveaux de non-sens. Nous prendrons comme point de départ la description des fonctions de
visée intentionnelle et de remplissement intuitif dans la première Recherche logique et celle de la stratification de différents
niveaux de combinations grammaticales de signes selon leur possibilité de remplissement dans les Recherches III et IV, que nous
comparerons aux descriptions wittgensteiniennes et meinongiennes de ces mêmes possibilités de combiner des signes selon des règles
grammaticales en objets absurdes (widersinning), dépourvus de sens (sinnlos) ou au contraire susceptibles d'un remplissement intuitif.
Nous verrons que les critères husserliens sont les seuls à même de distinguer entre des objets qui sont dicibles du point de vue d'une
grammaire (et donc constituable au niveau de l'intention signitive) des énoncés mais inconstituables du point de vue intuitif
(widersinnige Gegenstände) et ceux qui ne sont même pas constituables signitivement (et qui sont donc unsinnige), et que les intuitions
donatrices d'évidence sont les seules capables de fonder cette distinction. Cette reductio ad absurdum constituera la première partie de
l'exposé, où nous démontrerons négativement, pour ainsi dire, l'impossibilité de se passer de l'idée d'une intuition donatrice
d'évidence. La seconde partie, si le temps le permet, consistera en une tentative de montrer que les critiques les plus fondées de
l'idée d'une intuition immédiate donatrice d'évidence s'appuient souvent sur une idée naïve de ces intuitions qui renvoient davantage
à l'idée que l'empirisme se fait de l'intuition qu'à l'idée proprement phénoménologique, et qu'au contraire, d'un point de vue
husserlien, les data sensoriels, par exemple, ne sont pas donnés de façon immédiate mais que ceux-ci sont bien plutôt un contenu
fondé sur les intuitions catégoriales et eidétiques, et une abstraction faite à partir de ces intuitions qui sont à la fois plus
complexes et plus immédiates (et donc donatrices d'évidence). Et ce sont précisément ces intuitions catégoriales et eidétiques qui
servent de critère de distinction entre ces combinaisons de signes (et donc des intentions de visée) qui sont susceptible d'un
remplissement intuitif et celles qui ne le sont pas (et qui sont donc absurdes ou impossibles, non pas du point de vue d'une logique
des signes - la logique proprement dite - mais du point de vue d'une logique des phénomènes).
Notre réflexion porte sur l'esquisse de la phénoménologie des signes et de l'évidence dans la perspective de Ricœur; celui-ci étant l'héritier de la phénoménologie de Husserl. Dans sa ligne phénoménologique, Husserl donne à penser l'évidence dans l'expérience que fait la conscience de se rapporter à la chose visée. Cette expérience révèle ainsi la propriété fondamentale et générale de la conscience "qui est d'être conscience de quelque chose, de porter en soi, en tant que cogito, son cogitatum" (E. HUSSERL, Méditations cartésiennes et les conférences de Paris, 8e tirage, présentation, traduction et notes sous la direction de Marc de Launay, Paris, PUF, 2020, p. 14, §15). Ceci atteste le pouvoir idéaliste, reconnu depuis toujours au sujet en tant que donateur du sens au phénomène. Il n'y a de phénomène que pour une conscience qui en dégage la teneur de signification, en le visant, le pensant, l'imaginant, etc. La subjectivité devient alors la plaque tournante de toute phénoménologie respectueuse du sens, à partir de la visée intentionnelle.
Toutefois, si le sens que revêt un objet dépend de la façon dont il est appréhendé par une conscience, il n'en reste pas moins vrai que celle-ci fait aussi l'expérience de réceptivité et de passivité (C. SPAAK Vishnu, "Le problème phénoménologique de l'expérience passive" (Husserl, Heidegger, Levinas), dans Revue Philosophique de Louvain, 3e Série, t.11, n°4, 2013, p. 696), parce que son activité se déploie toujours à partir d'un signe qui l'impressionne d'abord et dont elle entérine ensuite le sens. Le signe devient alors un ensemble de trésor, de langage, de figure et de médiation, qui permettent à la subjectivité de diversifier son regard sur le monde. Ainsi, Paul Ricœur estime que le sens de la conscience réside, non pas au fond d'elle-même, mais dans une extériorité, hors d'elle-même (P. RICOEUR, Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p. 59). Le paradoxe qui se dégage ici est que la conscience est à la fois donatrice du sens au phénomène et réceptive des impressions de celui-ci dans le déploiement de son activité intentionnelle.
Au regard de ce qui précède, deux questions peuvent être posées: qu'est-ce qui caractérise l'évidence dans la phénoménologie de Paul Ricœur? Cette évidence dépend-t-elle simplement du sujet percevant, des signes perçus, ou de l'interdépendance entre le sujet percevant et le signe perçu? Considérant ces questions, nous formulons une hypothèse générale suivante : l'évidence ne serait possible que dans un "environnement incarné (ici, le monde direct, dans lequel le sujet vit). Cette hypothèse conduit à formuler une hypothèse spécifique selon laquelle l'évidence dépendrait à la fois du point de vue du sujet et des signes permettant de le matérialiser. De ce fait, l'évidence serait le résultat de l'interdépendance entre le sujet percevant et le signe perçu. Ainsi, se référant à la perspective phénoménologique de Ricœur, le pari à négocier est de démontrer cette dialectique du sujet et du signe dans la production de l'évidence. Pour appuyer cette réflexion, deux points structurent notre propos. Le premier s'intéresse à l'esquisse de la phénoménologie de l'évidence chez Paul Ricœur. Le deuxième concerne l'enjeu de l'étude : interdépendance entre sujet percevant et signe perçu.
Toutefois, si le sens que revêt un objet dépend de la façon dont il est appréhendé par une conscience, il n'en reste pas moins vrai que celle-ci fait aussi l'expérience de réceptivité et de passivité (C. SPAAK Vishnu, "Le problème phénoménologique de l'expérience passive" (Husserl, Heidegger, Levinas), dans Revue Philosophique de Louvain, 3e Série, t.11, n°4, 2013, p. 696), parce que son activité se déploie toujours à partir d'un signe qui l'impressionne d'abord et dont elle entérine ensuite le sens. Le signe devient alors un ensemble de trésor, de langage, de figure et de médiation, qui permettent à la subjectivité de diversifier son regard sur le monde. Ainsi, Paul Ricœur estime que le sens de la conscience réside, non pas au fond d'elle-même, mais dans une extériorité, hors d'elle-même (P. RICOEUR, Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II, Paris, Seuil, 1986, p. 59). Le paradoxe qui se dégage ici est que la conscience est à la fois donatrice du sens au phénomène et réceptive des impressions de celui-ci dans le déploiement de son activité intentionnelle.
Au regard de ce qui précède, deux questions peuvent être posées: qu'est-ce qui caractérise l'évidence dans la phénoménologie de Paul Ricœur? Cette évidence dépend-t-elle simplement du sujet percevant, des signes perçus, ou de l'interdépendance entre le sujet percevant et le signe perçu? Considérant ces questions, nous formulons une hypothèse générale suivante : l'évidence ne serait possible que dans un "environnement incarné (ici, le monde direct, dans lequel le sujet vit). Cette hypothèse conduit à formuler une hypothèse spécifique selon laquelle l'évidence dépendrait à la fois du point de vue du sujet et des signes permettant de le matérialiser. De ce fait, l'évidence serait le résultat de l'interdépendance entre le sujet percevant et le signe perçu. Ainsi, se référant à la perspective phénoménologique de Ricœur, le pari à négocier est de démontrer cette dialectique du sujet et du signe dans la production de l'évidence. Pour appuyer cette réflexion, deux points structurent notre propos. Le premier s'intéresse à l'esquisse de la phénoménologie de l'évidence chez Paul Ricœur. Le deuxième concerne l'enjeu de l'étude : interdépendance entre sujet percevant et signe perçu.
Jeudi 5 mai
Autour de: Dominique Pradelle, Intuitions et idéalités (Paris, PUF, 2020).
Journée du groupe de contact Phénoménologie du FNRS.
- 9h30 Dominique Pradelle (Sorbonne Université), Le remplissement entre donation et validation.
- 10h20 Discussion.
- 10h45 Andrea Ariotto (Sorbonne Université), L'historicité de l'intuition dans la pensée mathématique selon Jean Cavaillès. Résumé
- 11h35 Discussion.
- 12h Repas.
- 13h30 Gabriele Baratelli (Husserl Archiv der Universität zu Köln), L'intuition catégoriale et la représentation impossible de la forme. Résumé
- 14h20 Discussion.
- 14h45 Nur Erten (univ. de Caen-Normandie / Husserl Archiv der Universität zu Köln), Théorie de tout: que peut faire l'attitude mathématico-formelle selon Husserl? Résumé
- 15h35 Discussion.
- 16h15 Bruno Leclercq (univ. de Liège / Creph), Produire des évidences en logique et en mathématiques. Résumé
- 17h05 Discussion.
La connaissance mathématique constitue un champ où l'idée d'une intuition
médiée trouve l'une des ses applications les plus fécondes. Au § 18 de la Sixième recherche
Husserl observe que c'est précisément la formation des concepts mathématiques à montrer la
possibilité de remplissements médiats qui s'explicitent dans des chaînes de remplissements. En effet, les
idéalités mathématiques ne semblent pas pouvoir s'offrir à une donation complète et absolue,
étant donné que notre rapport à ces objectualités se fait toujours par le biais de procédures
symboliques démonstratives et de validation. Il n'y aurait pas alors d'objets mathématiques qui s'offrent d'une
manière immédiate à notre visée intuitive directe mais on aurait toujours à faire avec des
pôles indéfinis de théorisation pour lesquels la médiation temporelle apparaît nécessaire
à leur constitution (Desanti 2014, p. 115). Le mode d'existence des objectualités mathématiques serait donc
radicalement historique et corrélatif à la progressivité des actes de théorisation (Pradelle 2020, p. 445).
Dans ce contexte, la philosophie de Jean Cavaillès exprime, d'une manière parmi les plus claires, ce rôle
essentiel joué par l'historicité dans la constitution de la pensée mathématique.
Le but de cette communication est d'exposer la façon dans laquelle, selon Cavaillès, le développement autonome de la pensée mathématique implique une relativisation historique de l'intuition, qui progresse parallèlement aux développements des champs d'objets sur lesquels on opère. Cette perspective, explicitement anti-kantienne, se révèle d'ailleurs critique du point de vue intuitionniste de Brouwer aussi bien que des intuitionnistes français comme Borel, en ce qu'elle refuse d'assimiler toute construction opératoire à une activité effective des actes de la conscience (Pradelle 2020, p. 400). Il nous semble cependant que la position de Cavaillès permette d'éclaircir certains aspects de l'idée husserlienne d'intuition catégoriale pour ce qui concerne la connaissance mathématique, à savoir l'idée que les idéalités mathématiques possèdent des modes d'évidence médiés et qui dépendent de leur constitution dans des actes stratifiés de la conscience. Il s'agit notamment de l'idée d'un accès intuitif médié à ce type d'objets, qui équivaut, en dernier ressort, à l'ouverture de possibilités opératoires dans des domaines de plus en plus abstraits. Pour le montrer, nous nous appuyons sur l'article Transfini et continu où il apparaît l'idée d'une "transformation de la zone intuitive" (Cavaillès 1994, p. 470) et nous essayons ensuite de donner corps aux thèses de Cavaillès avec des exemples tirés de Dedekind.
Tout au long de sa réflexion, Cavaillès défend l'idée de l'autonomie de la pensée mathématique en raison de la nécessité interne qui la traverse et qui détermine l'engendrement indéfini d'objets posé à la base de son développement. Avec l'expression "dialectique du concept" Cavaillès désigne la progressivité historique de la connaissance mathématique, qu'il oppose à toute philosophie de la conscience. La dialectique du concept proposée par Cavaillès implique l'idée d'une "superposition intuitive", c'est-à-dire d'une redéfinition continue de l'intuition qui cesse d'être une structure invariante de la subjectivité qui permet de définir une zone de sécurité où ancrer les mathématiques. Ce qui est visé par Cavaillès, c'est au contraire une relativisation historique de l'intuition à chaque étape de la pensée et aux différents étages opératoires. Elle indique la prise d'acte d'un certain état théorique qui permet d'être dépassé (Benis-Sinaceur 2019, p. 130). La zone intuitive désigne plutôt un espace de manipulation des signes et cette zone intuitive "progresse parallèlement à l'enchainement dialectique des concepts" (Cavaillès 1994, p. 471). Un domaine d'objets étant défini, il peut constituer la base intuitive pour d'autres opérations plus abstraites qui permettent une génération des nouvelles idéalités. Pour rendre compte des thèses de Cavaillès, on entend, dans la deuxième partie de notre communication, porter l'exemple de la construction des différentes espèces de nombres exposée par Dedekind et dont le principe fondamental apparaît au § 3 de Stetigkeit und irrationale Zahlen (1872). En plus, Dedekind caractérise très bien cette structure étagée procédant par paliers propre à l'entendement mathématicien dans la préface à la première édition de Was sind und was sollen die Zahlen? (1888) avec le terme de Treppenverstand.
Le but de cette communication est d'exposer la façon dans laquelle, selon Cavaillès, le développement autonome de la pensée mathématique implique une relativisation historique de l'intuition, qui progresse parallèlement aux développements des champs d'objets sur lesquels on opère. Cette perspective, explicitement anti-kantienne, se révèle d'ailleurs critique du point de vue intuitionniste de Brouwer aussi bien que des intuitionnistes français comme Borel, en ce qu'elle refuse d'assimiler toute construction opératoire à une activité effective des actes de la conscience (Pradelle 2020, p. 400). Il nous semble cependant que la position de Cavaillès permette d'éclaircir certains aspects de l'idée husserlienne d'intuition catégoriale pour ce qui concerne la connaissance mathématique, à savoir l'idée que les idéalités mathématiques possèdent des modes d'évidence médiés et qui dépendent de leur constitution dans des actes stratifiés de la conscience. Il s'agit notamment de l'idée d'un accès intuitif médié à ce type d'objets, qui équivaut, en dernier ressort, à l'ouverture de possibilités opératoires dans des domaines de plus en plus abstraits. Pour le montrer, nous nous appuyons sur l'article Transfini et continu où il apparaît l'idée d'une "transformation de la zone intuitive" (Cavaillès 1994, p. 470) et nous essayons ensuite de donner corps aux thèses de Cavaillès avec des exemples tirés de Dedekind.
Tout au long de sa réflexion, Cavaillès défend l'idée de l'autonomie de la pensée mathématique en raison de la nécessité interne qui la traverse et qui détermine l'engendrement indéfini d'objets posé à la base de son développement. Avec l'expression "dialectique du concept" Cavaillès désigne la progressivité historique de la connaissance mathématique, qu'il oppose à toute philosophie de la conscience. La dialectique du concept proposée par Cavaillès implique l'idée d'une "superposition intuitive", c'est-à-dire d'une redéfinition continue de l'intuition qui cesse d'être une structure invariante de la subjectivité qui permet de définir une zone de sécurité où ancrer les mathématiques. Ce qui est visé par Cavaillès, c'est au contraire une relativisation historique de l'intuition à chaque étape de la pensée et aux différents étages opératoires. Elle indique la prise d'acte d'un certain état théorique qui permet d'être dépassé (Benis-Sinaceur 2019, p. 130). La zone intuitive désigne plutôt un espace de manipulation des signes et cette zone intuitive "progresse parallèlement à l'enchainement dialectique des concepts" (Cavaillès 1994, p. 471). Un domaine d'objets étant défini, il peut constituer la base intuitive pour d'autres opérations plus abstraites qui permettent une génération des nouvelles idéalités. Pour rendre compte des thèses de Cavaillès, on entend, dans la deuxième partie de notre communication, porter l'exemple de la construction des différentes espèces de nombres exposée par Dedekind et dont le principe fondamental apparaît au § 3 de Stetigkeit und irrationale Zahlen (1872). En plus, Dedekind caractérise très bien cette structure étagée procédant par paliers propre à l'entendement mathématicien dans la préface à la première édition de Was sind und was sollen die Zahlen? (1888) avec le terme de Treppenverstand.
La prémisse qui guide mon texte, c'est que les difficultés que Husserl
rencontre dans l'élaboration d'une théorie de l'intuition catégoriale dépendent de l'exceptionnalité du mode de donation des objectités
purement formelles. Le concept d'intuition demande en fait deux conditions strictement connectées: le remplissement d'une intention
vide par la traduction intuitive de la simple signification, et le dépassement de la dimension symbolique médiate pour la donation
immédiate de la chose elle-même. Une intuition catégoriale est paradoxale puisqu'elle ne semble satisfaire aucune des deux conditions
pour la raison inverse. D'un côté, les objectités formelles sont définies par le fait d'être vide du tout contenu matériel et donc même
d'être irreprésentables par des images. Il n'y a rien qui peut "remplir" l'intention catégoriale, alors que le cas d'une "intuition
vide" serait bien une contradictio in terminis. De l'autre côté, Husserl souligne dans ses ouvres (spécifiquement dans la Philosophie
der Arithmetik) le trait essentiellement sémiotique du développement des mathématiques modernes qui consacre, à partir de Viète, le
découvrement du formel pur. L'écriture symbolique algébrique est donc un moyen de représentation sui generis qui dépasse le concept
négatif de notation en jouant un rôle actif dans la formation des concepts formels. Il reste ainsi indécis comment cette dimension
symbolique, décisive pour le catégorial, pourrait être dépassée par une intuition immédiate sur le modèle de la perception sensible.
Comme le montre plus nettement le niveau le plus haut de la logique formelle chez Husserl, c'est-à-dire la théorie de multiplicités
(Mannigfaltigkeitslehre), le formel pur est au même temps indépendant de toute représentation possible et impensables si non à partir des
symboles. Il est clair que l'origine de ce paradoxe demeure dans l'ambiguïté de la forme algébrique elle-même, laquelle peut être caractérisée
comme une nécessaire représentation de l'irreprésentable. Le but de mon texte est de clarifier ses propriétés par opposition à des autres manières
de représentation signitive comme les expressions et les images. A travers les analyses husserliens dans la Krisis, et en particulière dans le
fameux troisième appendice sur l'origine de la géométrie, je vais montrer les raisons profondes de la difficulté de poursuivre l'injonction
phénoménologique de retourner aux choses elles-mêmes quand il s'agit des objectités formelles. Ma thèse est que la modalité dans laquelle les
symboles algébriques "sédimentent" le sens original des formations catégoriales est tout à fait exceptionnelle et met également en
lumière la nouveauté radicale et la nature propre de la conceptualité formelle de la mathématique moderne.
C'est un problème très ancien, l'effort et la quête pour
établir une seule science qui sera la science de scientificité. Quand on regarde le corpus husserlien et surtout
FTL, on voit que ce vieux problème non seulement conserve son actualité et son importance, mais aussi que l'enjeu
est devenu tragique pour les sciences contemporaines. De plus, ce problème, que nous avons perçu uniquement comme
philosophique et que nous avons essayé de résoudre au sein de divers mouvements philosophiques, a également
été une question de physique et surtout de mathématiques.
Ce à quoi nous essayons de répondre dans notre exposé est le suivant: comment Husserl, en tant que philosophe dont la formation principale est les mathématiques, aborde-t-il l'idée que les mathématiques devraient établir une théorie qui sera la théorie de tout?
Après avoir commencé notre intervention avec l'introduction de FTL et montré la structure fragmentée et dispersée des sciences contemporaines, nous examinerons le texte de 1910-11 Grundprobleme der Phänomenologie et montrerons la naissance d'un possible champ ontologique formel sur le fondement de l’intuition eidétique. Puis nous reviendrons sur la FTL et regarderons le rapport des mathématiques non-apophantiques qui ont émergé au XIXe siècle,
c'est-à-dire une mathématique centrée sur l'objet général, avec les sciences descriptives et
nomologiques, et verrons si la théorie des multiplicités, selon Husserl, peut présenter une théorie unique qui
fondera toutes les théories.
Ce à quoi nous essayons de répondre dans notre exposé est le suivant: comment Husserl, en tant que philosophe dont la formation principale est les mathématiques, aborde-t-il l'idée que les mathématiques devraient établir une théorie qui sera la théorie de tout?
Après avoir commencé notre intervention avec l'introduction de FTL et montré la structure fragmentée et dispersée des sciences contemporaines, nous examinerons le texte de 1910-11 Grundprobleme der Phänomenologie et montrerons la naissance d'un possible champ ontologique formel sur le fondement de l’intuition eidétique. Puis nous reviendrons sur la FTL et regarderons le rapport des mathématiques non-apophantiques qui ont émergé au XIX
Dans la Critique de la raison pure, Kant expliquait le caractère
synthétique a priori des jugements mathématiques par le fait qu'ils reposent sur des intuitions pures contraintes par les
formes (spatiale et temporelle) de la sensibilité. Plusieurs des exemples qu'il fournissait pour la géométrie témoignaient
toutefois de ce que ces intuitions ne peuvent émerger qu'à l'appui de constructions (régies par des concepts), lesquelles
permettent de faire apparaître ce qui n'était précisément pas immédiatement visible. Bien plus, comme le soulignent
l'"Origine de la géométrie" et d'autres textes husserliens de la même époque, même les intuitions géométriques qui ne
supposent pas de telles constructions reposent-elles au moins sur des actes d'idéalisation qui dégagent des formes exactes
au-delà de ce qui est effectivement perceptible et pratiquement important. Même lorsqu'elle est strictement intuitive,
l'évidence géométrique exige-t-elle donc la médiation d'un certain nombre d'opérations intellectuelles qui la rendent possible.
Mais, bien sûr, la leçon du 19e siècle, c'est que, de toutes façons, la géométrie et ne peut pas être
strictement intuitive. L'appel à l'intuition est en effet très souvent le lieu de présupposés cachés que des inférences rigoureuses ont
au contraire le mérite d'expliciter. La formalisation de la géométrie impose alors, à son tour, de nouveaux modes de production d'évidence,
par la démonstration de propriétés métalogiques comme la consistance ou la complétude et par la présentation de "modèles".
En ce qui concerne l'arithmétique, Husserl avait, dès la Philosophie de l'arithmétique, dû reconnaître qu'elle ne peut que très partiellement reposer sur des représentations intuitives (ou "propres") de quantités et d'opérations fondamentales d'addition ou de partage sur de telles quantités. Déjà les nombres 0 et 1, mais aussi les grands nombres entiers, et plus encore les nombres rationnels, négatifs, réels, imaginaires ou encore transfinis — qui constituent en fait la quasi-totalité de l'arithmétique — ne font pas l'objet de telles représentations propres, mais sont caractérisés par le système symbolique de numération (en base 10) puis par des rapports opératoires aux nombres entiers ainsi caractérisés. Dans la perspective du maître de Husserl, Leopold Kronecker, il s'agit là d'un défaut de ces nouveaux "nombres", qui mène à penser que seuls sont véritablement nombres les entiers naturels.
Après avoir un temps hésité entre cette position constructiviste et la position formaliste, selon laquelle les nombres sont définis au sein de systèmes formels tels que chaque système — celui des nombres naturels, celui des entiers, celui des rationnels, celui des réels, etc. — non seulement "étend" le précédent mais redéfinit aussi ses entités, Husserl finit par trancher explicitement pour le second en 1900-1901 (dans les Prolégomènes et dans la conférence à la Société de mathématique de Göttingen à l'invitation de Hilbert). Dans sa théorie des multiplicités, il reconnaît que des objets formels comme les nombres sont définis par leurs rapports opératoires à tous les autres au sein de structures caractérisées par des axiomes et règles d'inférence, et dont l'évidence propre est régie par des preuves métamathématiques.
Que, loin d'être univoque, l'évidence mathématique se produise de multiples façons, telle est peut-être la première leçon qu'a engrangée Husserl en étudiant le fonctionnement effectif du savoir mathématique.
En ce qui concerne l'arithmétique, Husserl avait, dès la Philosophie de l'arithmétique, dû reconnaître qu'elle ne peut que très partiellement reposer sur des représentations intuitives (ou "propres") de quantités et d'opérations fondamentales d'addition ou de partage sur de telles quantités. Déjà les nombres 0 et 1, mais aussi les grands nombres entiers, et plus encore les nombres rationnels, négatifs, réels, imaginaires ou encore transfinis — qui constituent en fait la quasi-totalité de l'arithmétique — ne font pas l'objet de telles représentations propres, mais sont caractérisés par le système symbolique de numération (en base 10) puis par des rapports opératoires aux nombres entiers ainsi caractérisés. Dans la perspective du maître de Husserl, Leopold Kronecker, il s'agit là d'un défaut de ces nouveaux "nombres", qui mène à penser que seuls sont véritablement nombres les entiers naturels.
Après avoir un temps hésité entre cette position constructiviste et la position formaliste, selon laquelle les nombres sont définis au sein de systèmes formels tels que chaque système — celui des nombres naturels, celui des entiers, celui des rationnels, celui des réels, etc. — non seulement "étend" le précédent mais redéfinit aussi ses entités, Husserl finit par trancher explicitement pour le second en 1900-1901 (dans les Prolégomènes et dans la conférence à la Société de mathématique de Göttingen à l'invitation de Hilbert). Dans sa théorie des multiplicités, il reconnaît que des objets formels comme les nombres sont définis par leurs rapports opératoires à tous les autres au sein de structures caractérisées par des axiomes et règles d'inférence, et dont l'évidence propre est régie par des preuves métamathématiques.
Que, loin d'être univoque, l'évidence mathématique se produise de multiples façons, telle est peut-être la première leçon qu'a engrangée Husserl en étudiant le fonctionnement effectif du savoir mathématique.
Vendredi 6 mai
- 9h30 Yacin Hamami (univ. de Liège / FNRS), Intuition in diagram-based geometric reasoning: A cognitive investigation. Résumé
- 10h20 Discussion.
- 10h45 Valentina Luporini (Scuola Normale Superiore / univ. de Genève) et Leonardo Ceragioli (Università degli Studi di Pisa), Intuition is not (always) immediate, and this is good news! Résumé
- 11h35 Discussion.
- 12h Repas.
- 13h30 Charlotte Gauvry (Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn), Nos intuitions métaphysiques sont-elles médiées? Sur le méta-problème de la conscience. Résumé
- 14h20 Discussion.
- 14h45 Gautier Dassonneville (univ. de Liège / Creph; univ. de Lille 3), "Créer l'évidence": la conception analogique de l'imagination chez Sartre face au constructivisme. Résumé
- 15h35 Discussion.
According to the contemporary standards of rigorous reasoning in mathematical
practice, intuition is not a legitimate way of establishing mathematical knowledge. In opposition to this received view, some
philosophers and logicians (see, e.g., Manders 2008, Avigad et al. 2009, Mumma 2010) have argued that, in the context of elementary
Euclidean geometry, one can perfectly reason rigorously and reliably with geometric diagrams, a form of diagrammatic reasoning that
necessarily relies on geometric and spatial intuition. Yet, what exactly this geometric and spatial intuition is remains unclear.
In this talk, I will present some empirical work aiming to investigate this issue from the perspective of experimental psychology
(Hamami et al. 2021). More specifically, I will present three experiments that were designed based on the logical and philosophical
descriptions of diagrammatic reasoning in the context of Euclid's Elements provided by Manders (2008) and Avigad et al. (2009).
These experiments suggest then a general architecture for a cognitive model of geometric intuition in the context of diagram-based
geometric reasoning, thus providing some clues as to what this geometric or spatial intuition may be. This is joint work with Marie
Amalric (Harvard University) and John Mumma (California State University, San Bernardino).
In this talk, we aim to address some epistemological issues which arise
comparing the mental act of intuition to the functioning of other perceptual faculties.
More specifically, we will focus on the relations between intuition, perception,
understanding, and beliefs.
Our starting point will be Wright's argument against intuition stated in [Wright, 2004]. Roughly speaking, the author argues that for intuition to have some epistemic dignity, it has to take part in a two-steps process: i) the un- derstanding of a given proposition; ii) the application of the faculty in question to decide its truth-value. Let us call this requirement Two Steps Principle. Wright's example of a sentence that satisfies such a principle is "I have left my keys in the garage" which can be understood but not decided by someone who is a competent speaker but who is, for instance, not in the garage. By contrast, according to Wright, the understanding of supposedly intuitive sen- tences is enough to decide their truth-values. His example is Modus Ponens which, once understood, is already known to be true. Hence, since intuition is, according to Wright, not subject to Two Steps Principle, we have no good reasons to postulate its epistemic role. In other words, the fact that intuition is an immediate faculty that cannot fail would be a sufficient ground to reject it.
Our main aim is to provide a more comprehensive picture of how intuition is connected to Two Steps Principle. In particular, we will propose to distin- guish between two kinds of intuitive sentences. The first kind regards cases in which the principle simply fails. These examples are interesting as far as they show that Two Steps Principle is not uncontroversial, but also that { contra Wright { its rejection does not entail the unacceptability of intuition. The second kind concerns instead cases in which Two Steps Principle straightfor- wardly applies. The appeal of these cases lies in the fact that they constitute counterexamples to Wright's argument. In addition, they offer a more fine- grained and adequate description of the epistemic role of intuition than the one suggested by the old-fashioned immediacy-rhetoric.
Sentences of the first kind violate Two Steps Principle because they are needed to grasp concepts and meanings. As anticipated, this feature is not problematic. Indeed, the fact that someone needs to know that a sentence is true to be a competent speaker does not warrant the linguistic or conceptual character of the truth of the sentence in question. As an example, if someone does not know that 1 + 1 = 2, he does not understand the meaning of "+" either. However, this fact does not entail that addition is just a linguistic matter (as stressed, inter alia, by [BonJour, 1997]). We will further defend this position by employing Husserl's notion of material a priori formulated in [Husserl, 1901], as well as Benardete's cases of analytic a posteriori statements analyzed in [Benardete, 1958].
By contrast, sentences of the second kind suit Two Steps Principle. As previously mentioned, this fact shows that Wright's argument, even if valid, cannot dismiss intuition. By highlighting an analogy between perception and intuition, we will deal with systematic errors affecting such faculties. This will enable to clarify the relation between intuition, perception, beliefs, and understanding. An example of systematic error for perception is the infamous case of the stick partially immersed, which looks as if it were broken. The counterpart cases for intuition are sentences that seem true even if known to be false. Examples are the unrestricted version of the comprehension principle and the universal set.
Following some observations formulated in [Sosa, 1996] and [Bengson, 2015], we will start by investigating a distinction between correction of belief and correction of intuition. We will later move on to [Chudnoff, 2019]'s idea according to which intuition can be educated. We will then point out that the educability of intuition can be seen as a social development of [BonJour, 1997]'s early notion of internal correctability. After having addressed all these points, we will conclude that while intuition should still be regarded as epistemically basic, it has to be considered as both fallible and correctable. Incidentally, this fact entails an epistemological shift from strong foundationalism to weak foundationalism, as foreseen by [Hales, 2000].
In summary, our talk will show that even though Wright's objection is solvable without abandoning the standard immediacy-rhetoric, a survey of the non-immediate applications of intuition has the advantage of describing how intuition works in a more accurate and plausible way.
Our starting point will be Wright's argument against intuition stated in [Wright, 2004]. Roughly speaking, the author argues that for intuition to have some epistemic dignity, it has to take part in a two-steps process: i) the un- derstanding of a given proposition; ii) the application of the faculty in question to decide its truth-value. Let us call this requirement Two Steps Principle. Wright's example of a sentence that satisfies such a principle is "I have left my keys in the garage" which can be understood but not decided by someone who is a competent speaker but who is, for instance, not in the garage. By contrast, according to Wright, the understanding of supposedly intuitive sen- tences is enough to decide their truth-values. His example is Modus Ponens which, once understood, is already known to be true. Hence, since intuition is, according to Wright, not subject to Two Steps Principle, we have no good reasons to postulate its epistemic role. In other words, the fact that intuition is an immediate faculty that cannot fail would be a sufficient ground to reject it.
Our main aim is to provide a more comprehensive picture of how intuition is connected to Two Steps Principle. In particular, we will propose to distin- guish between two kinds of intuitive sentences. The first kind regards cases in which the principle simply fails. These examples are interesting as far as they show that Two Steps Principle is not uncontroversial, but also that { contra Wright { its rejection does not entail the unacceptability of intuition. The second kind concerns instead cases in which Two Steps Principle straightfor- wardly applies. The appeal of these cases lies in the fact that they constitute counterexamples to Wright's argument. In addition, they offer a more fine- grained and adequate description of the epistemic role of intuition than the one suggested by the old-fashioned immediacy-rhetoric.
Sentences of the first kind violate Two Steps Principle because they are needed to grasp concepts and meanings. As anticipated, this feature is not problematic. Indeed, the fact that someone needs to know that a sentence is true to be a competent speaker does not warrant the linguistic or conceptual character of the truth of the sentence in question. As an example, if someone does not know that 1 + 1 = 2, he does not understand the meaning of "+" either. However, this fact does not entail that addition is just a linguistic matter (as stressed, inter alia, by [BonJour, 1997]). We will further defend this position by employing Husserl's notion of material a priori formulated in [Husserl, 1901], as well as Benardete's cases of analytic a posteriori statements analyzed in [Benardete, 1958].
By contrast, sentences of the second kind suit Two Steps Principle. As previously mentioned, this fact shows that Wright's argument, even if valid, cannot dismiss intuition. By highlighting an analogy between perception and intuition, we will deal with systematic errors affecting such faculties. This will enable to clarify the relation between intuition, perception, beliefs, and understanding. An example of systematic error for perception is the infamous case of the stick partially immersed, which looks as if it were broken. The counterpart cases for intuition are sentences that seem true even if known to be false. Examples are the unrestricted version of the comprehension principle and the universal set.
Following some observations formulated in [Sosa, 1996] and [Bengson, 2015], we will start by investigating a distinction between correction of belief and correction of intuition. We will later move on to [Chudnoff, 2019]'s idea according to which intuition can be educated. We will then point out that the educability of intuition can be seen as a social development of [BonJour, 1997]'s early notion of internal correctability. After having addressed all these points, we will conclude that while intuition should still be regarded as epistemically basic, it has to be considered as both fallible and correctable. Incidentally, this fact entails an epistemological shift from strong foundationalism to weak foundationalism, as foreseen by [Hales, 2000].
In summary, our talk will show that even though Wright's objection is solvable without abandoning the standard immediacy-rhetoric, a survey of the non-immediate applications of intuition has the advantage of describing how intuition works in a more accurate and plausible way.
Depuis son célèbre article de 1995, "Facing up to the problem of
consciousness", David Chalmers a notoirement montré qu'il fallait considérer les problèmes de la conscience phénoménale comme
de "difficiles" problèmes. Malgré les progrès considérables qui ont été et qui seront encore vraisemblablement effectués par
les neurosciences, la psychologie ou la philosophie, il semble en effet qu'il n'est pas possible d'expliquer avec un modèle
physicaliste pourquoi et comment nos expériences conscientes ont les propriétés qualitatives et subjectives qui sont les
leurs.
Cependant, depuis 2018, ces problèmes ont pris une tournure différente en ceci que le même Chalmers a récemment avancé l'idée, aujourd'hui très débattue, que ces questions difficiles sur la conscience phénoménale soulèvent aussi et avant tout ce qu'il appelle un "méta-problème" qui n'est pas moins redoutable. S'il est vrai que nombreux philosophes, en particuliers réalistes, pensent que la conscience phénoménale nous confronte à de "difficiles" problèmes, d'autres ne partagent pas cette "intuition" à propos de la conscience, en particulier lesdits "illusionistes" qui considèrent qu'il n'est pas vrai que la conscience a réellement des propriétés phénoménales. Indépendamment de la controverse qui oppose les réalistes aux illusionistes, la formulation de ces méta-problèmes a des enjeux épistémologiques importants car elle manifeste le fait problématique que la plupart des controverses importantes sur la conscience phénoménale reposent en premier lieu non pas sur des arguments mais sur des convictions intimes ou des "intuitions" de plusieurs types (métaphysiques, explicatives, modales, etc.) qui ne sont ni universelles ni justifiées rationnellement. C'est la raison pour laquelle le méta-problème est rebaptisé "problème des intuitions".
Dans ma présentation, j'entends m'interroger plus avant sur le statut des "intuitions" qui structurent ces débats sur la conscience phénoménale, en portant en particulier mon attention sur l'une des intuitions que je considère comme centrale, à savoir l'intuition réaliste selon laquelle l'expérience et ses propriétés phénoménales sont réelles. J'entends en particulier interroger l'évidence selon laquelle une intuition non universelle de ce type serait une intuition immédiate, à savoir médiée par aucun processus psychologique, culturel ou peut-être même linguistique. Je m'interrogerai en conséquence sur les outils à notre disposition pour susciter, voire réfuter de telles intuitions. L'objectif principal de ma présentation est de montrer que les querelles métaphysiques sur les intuitions ne sont pas des querelles d'opinions.
Cependant, depuis 2018, ces problèmes ont pris une tournure différente en ceci que le même Chalmers a récemment avancé l'idée, aujourd'hui très débattue, que ces questions difficiles sur la conscience phénoménale soulèvent aussi et avant tout ce qu'il appelle un "méta-problème" qui n'est pas moins redoutable. S'il est vrai que nombreux philosophes, en particuliers réalistes, pensent que la conscience phénoménale nous confronte à de "difficiles" problèmes, d'autres ne partagent pas cette "intuition" à propos de la conscience, en particulier lesdits "illusionistes" qui considèrent qu'il n'est pas vrai que la conscience a réellement des propriétés phénoménales. Indépendamment de la controverse qui oppose les réalistes aux illusionistes, la formulation de ces méta-problèmes a des enjeux épistémologiques importants car elle manifeste le fait problématique que la plupart des controverses importantes sur la conscience phénoménale reposent en premier lieu non pas sur des arguments mais sur des convictions intimes ou des "intuitions" de plusieurs types (métaphysiques, explicatives, modales, etc.) qui ne sont ni universelles ni justifiées rationnellement. C'est la raison pour laquelle le méta-problème est rebaptisé "problème des intuitions".
Dans ma présentation, j'entends m'interroger plus avant sur le statut des "intuitions" qui structurent ces débats sur la conscience phénoménale, en portant en particulier mon attention sur l'une des intuitions que je considère comme centrale, à savoir l'intuition réaliste selon laquelle l'expérience et ses propriétés phénoménales sont réelles. J'entends en particulier interroger l'évidence selon laquelle une intuition non universelle de ce type serait une intuition immédiate, à savoir médiée par aucun processus psychologique, culturel ou peut-être même linguistique. Je m'interrogerai en conséquence sur les outils à notre disposition pour susciter, voire réfuter de telles intuitions. L'objectif principal de ma présentation est de montrer que les querelles métaphysiques sur les intuitions ne sont pas des querelles d'opinions.
Les recherches sur la nature du phénomène hypnotique ont
engendré une querelle théorique qui ne cesse de se répéter entre les défenseurs d'un état de conscience spécifique et les
défenseurs d'un jeu de rôles: face à ce constat, la leçon de l'histoire de l'hypnose pourrait bien être de nous pousser
à prendre garde à la manière dont les preuves empiriques et l'ontologie implicite de la recherche s'entremêlent
(Vandenberg, 2010). Dans ce contexte, on a pu solliciter naguère, mais de manière isolée, la phénoménologie sartrienne
de l'imagination comme ressource pour une compréhension du phénomène hypnotique où la mauvaise foi fournit un cadre
anthropologique au rapport intersubjectif créé entre l'hypnotiseur et l'hypnotisé (Beshai, 1974). Cette piste d'analyse
assume un lien qui s'est historiquement établi entre l'imagination et l'hypnose à travers les théories de la suggestion
(Terhune & Oakley, 2020). Pour ma part, je chercherai à montrer comment la conception analogique de l'imagination
chez Sartre peut éclairer une théorie constructiviste de la suggestibilité hypnotique.
En effet, dans L'Imaginaire (1940), Sartre définit la conscience imageante comme la visée d'un objet absent, non pas comme une "non-intuition" mais plutôt comme l'intuition d'un irréel. Sur ce point, on peut considérer que l'imagination sartrienne n'est jamais intuitive au sens où elle l'est chez Husserl par la saisie de contenus sensibles immanents (Flajoliet, 2021). Or, ce refus du remplissement intuitif n'est pas un effet du rationalisme de Sartre mais plutôt d'un romantisme dont on découvre toute l'importance dans la psychologie de l'imagination élaborée dans son mémoire de fin d'études (1927) où certains éléments de sa doctrine de la dégradation du savoir en image sont esquissés.
Dans ce texte de jeunesse, Sartre réfute l'existence d'une pensée sans images en généralisant l'activité symbolique de l'esprit à toute la pensée. Ce faisant, il invente une distinction originale entre images enveloppantes et images enveloppées, les secondes donnant une forme concrète et particulière aux raisonnements à partir de l'orientation schématique fournie par les premières. Armé de cette distinction, Sartre s'intéresse à la manière dont certaines images mentales servent à produire une "Erlebnis d'évidence", le sentiment d'une nécessité face à une donnée qui n'est pourtant que factuelle. Cela lui permet d'expliquer comment "l'affectif peut créer l'évidence" à travers les phénomènes d'auto-persuasion où la conscience risque de se duper elle-même dans le choix des images qu'elle crée pour comprendre le monde. Plus largement, toute proposition sur la vie mentale lui apparaît toujours comme un point de vue imagé, une métaphore: l'image, "substitut de la perception", est aussi l'instrument de l'intuition philosophique, c'est-à-dire "le substitut de ce que le philosophe ne verra jamais", et "tout système philosophique est la construction d'une réalité".
Dans quelle mesure ces thèses de jeunesse rencontrent-elles certaines lignes de l'épistémologie constructiviste, en particulier la théorie de la cognition incarnée (embodiment) défendue par Lakoff et Johnson (1986) dans leur analyse du rôle des métaphores dans la vie quotidienne ou encore l'approche pragmatiste et communicationnelle de Thierry Melchior selon laquelle l'hypnose permet de "créer le réel" (2008)?
En effet, dans L'Imaginaire (1940), Sartre définit la conscience imageante comme la visée d'un objet absent, non pas comme une "non-intuition" mais plutôt comme l'intuition d'un irréel. Sur ce point, on peut considérer que l'imagination sartrienne n'est jamais intuitive au sens où elle l'est chez Husserl par la saisie de contenus sensibles immanents (Flajoliet, 2021). Or, ce refus du remplissement intuitif n'est pas un effet du rationalisme de Sartre mais plutôt d'un romantisme dont on découvre toute l'importance dans la psychologie de l'imagination élaborée dans son mémoire de fin d'études (1927) où certains éléments de sa doctrine de la dégradation du savoir en image sont esquissés.
Dans ce texte de jeunesse, Sartre réfute l'existence d'une pensée sans images en généralisant l'activité symbolique de l'esprit à toute la pensée. Ce faisant, il invente une distinction originale entre images enveloppantes et images enveloppées, les secondes donnant une forme concrète et particulière aux raisonnements à partir de l'orientation schématique fournie par les premières. Armé de cette distinction, Sartre s'intéresse à la manière dont certaines images mentales servent à produire une "Erlebnis d'évidence", le sentiment d'une nécessité face à une donnée qui n'est pourtant que factuelle. Cela lui permet d'expliquer comment "l'affectif peut créer l'évidence" à travers les phénomènes d'auto-persuasion où la conscience risque de se duper elle-même dans le choix des images qu'elle crée pour comprendre le monde. Plus largement, toute proposition sur la vie mentale lui apparaît toujours comme un point de vue imagé, une métaphore: l'image, "substitut de la perception", est aussi l'instrument de l'intuition philosophique, c'est-à-dire "le substitut de ce que le philosophe ne verra jamais", et "tout système philosophique est la construction d'une réalité".
Dans quelle mesure ces thèses de jeunesse rencontrent-elles certaines lignes de l'épistémologie constructiviste, en particulier la théorie de la cognition incarnée (embodiment) défendue par Lakoff et Johnson (1986) dans leur analyse du rôle des métaphores dans la vie quotidienne ou encore l'approche pragmatiste et communicationnelle de Thierry Melchior selon laquelle l'hypnose permet de "créer le réel" (2008)?