Université de Liège Département de philosophie

Centre de recherches phénoménologiques

Une maison, un quotidien et des choses habitables: Phénoménologie clinique et psychothérapie institutionnelle

Université de Liège, 29-30 sept. 2023

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Présentation

La vie quotidienne repose au moins sur ce présupposé: que ce soit un appartement, une maison, une yourte ou n'importe quel autre "chez-soi", chacun.e vit quelque part. Par conséquent, chacun.e fréquente intimement un espace. Mais quel est cet espace? à quoi correspond-il? Et que signifie, au fond, habiter au quotidien?

"On n'est nulle part chez soi dans l'infini", disait Gaston Bachelard. Il s'agit donc d'habiter. La vie quotidienne repose au moins sur ce présupposé: que ce soit un appartement, une maison, une yourte ou n'importe quel autre "chez-soi", chacun.e vit quelque part. Par conséquent, chacun.e fréquente intimement un espace. Mais quel est cet espace? à quoi correspond-il? Et que signifie, au fond, habiter? Ce colloque invite à une mise en abîme puisqu'il se propose d'attirer notre attention vers une dimension fondamentale de notre existence que l'on questionne assez peu au quotidien.

Les spectacles de la troupe de théâtre L'Appétit des Indigestes ont pour enjeu d'interroger la place de la folie dans la société. Les personnes qui composent cette troupe s'intéressent aux limites de la raison et de la folie et à la frontière établie entre les deux. Anciennement ou actuellement psychiatrisés, parents proches ou soignants, les Indigestes forment une troupe hétérogène. Dans la lignée de la psychothérapie institutionnelle, elle constitue un espace réflexif privilégié pour observer l'inévidence du quotidien et penser nos tentatives et manières de le rendre habitable. Le travail des Indigestes pose une question phénoménologique qui plonge au cœur de la clinique: que fait-on, quels gestes pose-t-on pour rendre un quotidien habitable? Pour répondre à cette question, trois dimensions au moins peuvent être interrogées: le corps, le monde et, quelque part entre les deux, la maison.

Avant d'habiter un espace, chacun.e a à habiter son propre corps. Or, plusieurs expériences suggèrent dès le départ l'inévidence de cet habiter, à commencer par des expériences psychopathologiques comme celle des troubles alimentaires ou celle de la schizophrénie. à travers ces expériences se révèle la difficulté que peut représenter le fait d'être et de se tenir dans son corps. L'expérience de la vieillesse ou celle d'un handicap montre également cette difficulté. L'expérience de la personne sans domicile fixe rappelle quant à elle comment le corps peut, par ailleurs, constituer une "ultime ressource" (Gisèle Dambuyant- Wargny) pour habiter encore quelque part. Ce corps, dans lequel il est parfois si difficile de se tenir, est engagé dans un monde qui toujours-déjà le dépasse. Mais il faut préciser. De quel monde parle-t-on?

Le travail du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa invite à faire l'hypothèse d'un monde aujourd'hui accéléré. Les "plaques-tournantes" constituent probablement l'un des dispositifs les plus importants qui donne forme à ce monde. Elles sont fluviales, terrestres et aériennes, et assurent le déplacement toujours plus important et plus rapide de marchandises et d'êtres vivants. Or, ces plaques-tournantes posent la question du rythme et de la violence conjointe qu'elles imposent. Avec elles, l'arrêt est devenu impensable, la lenteur difficilement tolérable. La circulation est continue et le déplacement est devenu pour beaucoup la norme. Le monde accéléré que chacun a à habiter ressemble à un monde en perpétuel transit. Dans ce contexte, le travail de Bruce Bégout autour de l'architecture – des aéroports (En escale. Chroniques aéroportuaires), des villes (Los Angeles. Capitale du XXe siècle) et des bâtiments (Obsolescence des ruines) – invite à penser une forme de précarisation de l'existence, qui est une fragilisation de nos rapports au monde. Cette fragilisation, déjà repérée par le mouvement de la psychothérapie institutionnelle (Tosquelles, Guattari, Oury), interroge: jusqu'où affecte- t-elle nos manières d'occuper les temps et les espaces et nos manières de nous y ancrer au quotidien? Dans un livre plus ancien (La découverte du quotidien), Bruce Bégout explique comment le quotidien résulte de processus de quotidianisation. Ces processus ont pour enjeu de rendre familier ce qui, en première intention, ne peut apparaître que comme étranger – car encore inconnu jusque-là. En d'autres mots, les processus de quotidianisation ont pour mission de rendre le monde familier, disponible, et donc d'une certaine façon habitable. Se pose dès lors la question de savoir comment des corps, parfois déjà éparpillés, peuvent quotidianiser et ainsi rendre habitable un monde accéléré toujours en transit?

Dans La poétique de l'espace, Gaston Bachelard écrit que "tout espace vraiment habité porte l'essence de la notion de maison". Entre le corps et le monde, la maison constitue un espace intermédiaire. Dans cet espace, le corps fait déjà monde: le corps articule un monde autour de lui en même temps qu'il existe dans la maison. La maison apparaît comme le troisième terme à partir duquel révéler l'inévidence de l'habiter. Pourtant, dans son dernier livre intitulé Philosophie de la maison, le philosophe Emanuele Coccia dit la maison inhabitable: elle ne peut absolument pas être comprise comme un refuge et un espace retranché du reste du monde. Cette proposition surprend: comment la maison peut-elle être dite inhabitable? En réalité, le caractère inhabitable de la maison s'est imposé à l'auteur quand il s'est vu contraint d'habiter une maison vide. La maison inhabitable n'est donc rien d'autre qu'une maison vide de tout ce qu'elle contient d'ordinaire. Ce constat amène Emanuele Coccia à dire que ce ne sont pas les murs ni le toit qui font d'un espace une maison. Ce qui, bien plus, fait la maison, ce sont les objets, les plantes et les êtres qui y sont présents; ce sont eux qui ouvrent à la maison. Sans ces autres êtres, la maison est impossible. Ainsi, chacun.e d'entre nous habiterait moins un espace qu'un ensemble de choses et de personnes. Comprise en ces termes, la maison ne peut effectivement pas être un espace hors du monde puisqu'elle accueille toujours-déjà le monde entier en son sein. Dans ce cadre, la maison telle qu'on la conçoit d'ordinaire ne semble pouvoir constituer ni un asile ni un refuge. Pourtant, à l'heure actuelle, le seul refuge et domicile qu'on imagine est la maison - quelle que soit sa forme. La maison signe à elle seule l'autonomie de la personne. C'est d'ailleurs là qu'il s'agit dorénavant de penser le soin. La maison, au sens du domicile, constitue un enjeu majeur de tout "parcours de soins". Par contraste, le mouvement de la psychothérapie institutionnelle assume l'idée que l'hôpital doit pouvoir faire asile et constituer un refuge pour un temps plus ou moins long. Il semble ainsi défendre une définition plus large de la maison. En d'autres mots, le mouvement de la psychothérapie institutionnelle semble faire le pari que l'hôpital peut constituer a minima un espace hors du monde où il est possible de se soustraire momentanément à l'accélération du monde.

Une série de questions se posent. Comment concilier l'idée que le monde entier réside dans la maison avec, malgré tout, l'idée que la maison peut aussi parfois constituer quelque chose comme un repaire? Comment soutenir cette hypothèse et cette ambivalence au niveau de l'institution psychiatrique censée constituer une forme d'habitat et accueillir ce qu'on appelle la folie? Peut-on élargir notre compréhension de la maison et considérer l'institution psychiatrique comme une forme de cette dernière? Certaines personnes, à un moment de leur vie voire durant une vie entière, ne peuvent pas imaginer exister dans un autre lieu que celui de l'hôpital. Cette impossibilité d'exister ailleurs dans le monde fait partie des choses que le mouvement de la psychothérapie institutionnelle s'est attaché, et s'attache encore dans la mesure du possible, à assumer au quotidien. Mais quels espaces les institutions psychiatriques ouvrent-elles aujourd'hui? Comment ces espaces sont-ils habités? Sont-ils seulement habitables? Peuvent-ils devenir des "lieux de vie"? Comment sont-ils territorialisés par ses (non-)habitant.e.s? Que peut signifier l'idée d'un chez-soi pour et dans l'institution psychiatrique? Peut-on habiter plusieurs lieux? Quels gestes sous-tendent le fait d'habiter ou de rendre habitable? De manière plus générale encore, qu'est-ce qu'implique le fait de créer un lieu à soi qui est finalement aussi un lieu aux autres?

Ce colloque se propose de mettre à l'épreuve, à partir d'une compréhension élargie de la maison, l'hypothèse phénoménologique selon laquelle l'institution psychiatrique peut, à certaines conditions, être un espace où l'être en souffrance peut se reconstruire un monde et, parfois, un corps.

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