5e séminaire annuel 2011: Entre phénoménologie et psychologie: Le problème de la passivité
Abstracts
Federico BOCCACCINI: Tout concept a-t-il sa genèse dans l'intuition? Husserl et la psychologie descriptive brentanienne
S'il est vrai que c'est sur les travaux de Stumpf sur le "fusionnement" sensoriel et, plus généralement, sur le caractère d'unité et de continuité de la conscience que Husserl fonde son concept de "synthèse passive", cette passivité a été introduite et interrogée avant tout chez Brentano, plus particulièrement, dans son ouvrage sur la psychologie d'Aristote (1867). Brentano soutient l'idée que tous nos concepts ont leur origine dans l'intuition. Il appelle cette origine "genèse réelle" des concepts. Dans notre communication, nous nous proposons une analyse de cette notion et de celle, presque analogue, de "synthèse passive" chez Husserl, concernant sa démarche réaliste. Nous montrerons différences et similitudes entre la théorie brentanienne des concepts et celle de Husserl par rapport au rôle de l'intuition, en introduisant la question de l'idéalité sémantique jusqu'au "tournant transcendantal" .
Roland BREEUR: Un peu de temps à l'état pur. Le temps imaginaire
Je parle de l'altération que subit le temps une fois pris dans les mailles de l'imaginaire: il perd sa passivité pour être subordonné à la spontanéité d'une conscience pure.
Robert BRISART: Le constructivisme et son passif: le cas de la phénoménologie transcendantale
Smadar BUSTAN: Cette passivité singulière dans la Souffrance et la douleur
De la synthèse passive (1918-1926) marque pour la phénoménologie husserlienne un certain retour à la vie pré-théorique et pré-scientifique. Dans le prolongement de ses recherches sur la réalité cachée de la conscience, au fond assez inavouée chez Husserl, je propose de réfléchir sur la passivité ultime à travers une analyse de la souffrance et de la douleur. : Le dolent est souvent décrit dans la pensée française contemporaine (Levinas, Blanchot, Marion ou Ricoeur) comme un homme dépassé par les événements qui le frappent, condamné à une passivité radicale. Cette "passivité plus passive que toute passivité", selon la phrase canonique de Levinas, dévoile l'affaiblissement physique ou affectif qui transforme le sujet d'une source de vitalité en un corps dépouillé de sa force, vivant dans l'épuisement d'une lutte permanente. Cette analyse descriptive de la blessure excessive, nous oblige à s'interroger sur la disponibilité possible du souffrant indisposé. Selon la thèse de l'éthique de la souffrance qui caractérise ce courant post-phénoménologique, la passivité pure devient la condition même de l'échange inter-humain et même de la relation éthique, car le sujet est rendu disponible à son prochain malgré (et peut-être grâce) à cet état extrême qui ne lui permet pas de refuser l'appel au secours de son prochain. Contestant cette thèse, je dirais que c'est la nature même de la passivité dans la souffrance qui permet au sujet démuni de se montrer disponible et donc de réagir. C'est l'expérience intérieure du malheur qui dévoile un rapport primordial de soi à soi (mon agir par rapport à mon pâtir) et qui ne dégage pas nécessairement une servitude indéclinable chez le dolent, mais plutôt un effondrement qui révèle notre réactivité possible dans la passivité pure. : Ce premier niveau d'analyse consiste principalement à illustrer la modalité fondamentale de la passivité. Pour l'élucider davantage, il faut ensuite aborder la source de son pouvoir inattendu de réaction. Dans une perspective phénoménologique différente, je proposerai de l'attribuer, ni aux soubassements passifs des opérations logiques de notre esprit (Husserl), ni aux exigences externes que nous ne pouvons pas refuser et qui nous font réagir ou répondre malgré nous-mêmes (Levinas, Blanchot, Marion). Ce pouvoir passif demeure, d'après moi, l'indice d'une dimension pré-réflexive se situant ni dedans ni dehors, mais dans le champ de la vie. C'est en examinant l'expérience vécue elle-même, avec ses données et ses formes dynamiques prises dans leur contexte singulier de manifestation, que nous pouvons ensuite découvrir cette modalité fondamentale de la passivité extrême qui demeure pourtant réactive.
Marco CORATOLO: Le rôle de la passivité dans l'esthétique phénoménologique husserlienne: vers un structuralisme phénoménologique?
Quelle est la place de la passivité perceptive dans le projet husserlien d'une théorie phénoménologique de la sensibilité tel qu'il est esquissé dans les manuscrits des années 1920 ? La façon dont Husserl repense de façon critique les concepts psychologiques d'association, d'affection et d'attention, ainsi que les investigations sur les kinesthèses corporelles et sur la constitution d'une spatialité objective, nous amèneront à montrer l'originalité et la portée de l'esthétique phénoménologique husserlienne. En particulier on se focalisera sur les analyses génétiques des années 20 et 30, qui déterminent un changement radical du statut de ce que Husserl a nommé hylétique phénoménologique. En conclusion, on passera rapidement à certains des problèmes fondamentaux abordés récemment par la philosophie de l'esprit concernant les questions épistémologiques et phénoménologiques de la perception et on en illustrera la contribution possible de la méthode phénoménologique.
Grégory CORMANN: Passion et liberté. Le programme phénoménologique de Sartre
Damien DARCIS: Passivité et inconscient chez Michel Henry
Ronan DE CALAN: Un cas idéaltypique de passivité: la théorie des raisonnements inconscients de Wilhelm Wundt
Les Leçons sur l'âme des hommes et des bêtes (Vorlesungen über die Menschen und Thierseele) de Wilhelm Wundt, parues en 1863-1864, proposent une relecture leibnizienne de la psychophysique de Fechner dont on a largement sous-estimé la portée. Il s'agit effectivement pour Wundt, sur le modèle des petites perceptions de Leibniz, de réinterpréter les sensations proposées comme base de la psychophysique de Fechner non seulement comme des vécus intrinsèquement complexes, mais comme les conclusions de raisonnements inconscients. On détaillera les arguments principaux d'une telle théorie qui donne toute sa part non seulement aux synthèses mais aux inférences passives, et l'on reviendra sur sa réception qui, pour souterraine qu'elle peut paraître, fut déterminante aussi bien en psychanalyse qu'en phénoménologie.
Vincent DE COOREBYTER: Le corps et l'aporie du cynisme dans l'Esquisse d'une théorie des émotions
Je m'attacherai en particulier, face aux critiques qui soupçonnent la théorie de Sartre de verser dans le rationalisme et le volontarisme, de montrer la contribution du corps à la formation du sérieux de l'émotion. Cette participation du corps constitue en effet la seule réplique possible à l'aporie du cynisme, en vertu de laquelle une émotion ne peut être ressentie par une conscience qui se fait volontairement émotive, comme cela semble être le cas dans la théorie de Sartre. La question de l'émotion croise ainsi celle de la foi de la mauvaise foi, ainsi que celle de la passivité puisque c'est au niveau du corps, et grâce à ce sérieux de l'émotion, qu'elle se voit lestée d'une apparence de passivité.
Arnaud DEWALQUE: Meinong et le problème de l'analyse
Adèle DION: Le sujet merleau-pontien, entre passivité et activité
J'envisage de montrer, au travers des analyses merleau-pontiennes sur le sommeil, l'inconscient et la mémoire, en quoi on ne peut penser la passivité sans l'activité, et inversement. Nous verrons que s'il en est ainsi c'est que toutes deux sont constitutives du sujet et de son rapport au monde. Le sujet percevant est certes chez Merleau-Ponty, comme c'est le cas chez Husserl, le point zéro de la perception, le centre de l'orientation dans le monde, acteur de la perception de choses au sens où c'est lui qui par l'attention arrête son regard sur tel ou tel objet ; néanmoins, comme le souligne Merleau-Ponty, "il y a passivité jusque dans l'activité". Lors de la perception de choses, il y a "prise du regard sur la matière visible et réciproquement prise de la matière visible sur le regard". Ce n'est pas seulement le sujet qui perçoit les choses, mais les choses se donnent à voir de telle ou telle manière dans le monde. En ce sens, l'activité du sujet percevant se double d'une passivité. Cette passivité n'est donc pas à comprendre comme passivisme, n'étant pas causée par le sujet, mais est "congénitale au je" au sens où quelque chose lui advient. C'est ce jeu entre activité des choses du monde et passivité du sujet, qui pourtant s'apparaît comme absolu, comme centre de la perception, que j'envisage de mettre en avant dans mon intervention.
Julien FARGES: La psychologie dans la phénoménologie. Régression et progression
Je partirai des fugitives indications architectoniques données par Sartre en conclusion de l'Esquisse d'une théorie des émotions pour interroger le statut de la psychologie phénoménologique dans la systématique de la phénoménologie. L'idée est d'inviter par ce biais la conception sartrienne de la psychologie phénoménologique dans le débat qui s'amorce entre Husserl et Heidegger à l'occasion de la rédaction de l'article "Phénoménologie" pour l'Encyclopaedia Britannica en 1927, au coeur duquel se trouve précisément l'idée d'une psychologie phénoménologique.
Raphaël GÉLY: Imaginaire, émotion, situation. Réflexion à partir de l'Esquisse d'une théorie des émotions
Il s'agira d'interroger le rapport chez Sartre entre l'imaginaire, l'émotion et l'attachement à la situation. Loin seulement de pouvoir être comprise de façon négative comme irréalisation des exigences pragmatiques de la situation dans laquelle le sujet se trouve, il est possible, dans la perspective des recherches de Grégory Cormann, de comprendre également l'émotion sartrienne comme tentative à la limite pour maintenir l'attachement du sujet à la situation dans laquelle il se trouve. C'est dire que la question de l'émotion renvoie chez Sartre à la vulnérabilité intrinsèque de l'auto-constitution de la conscience comme pouvoir d'être affecté par une situation. On sait par ailleurs, à partir notamment des recherches de Daniel Giovannangeli et Roland Breeur, que l'imaginaire compris comme intuition du néant est lié en profondeur à la vulnérabilité intrinsèque de l'ouverture au monde de la conscience. Dans cette perspective, si la question de l'émotion est indissociable chez Sartre de la question de l'imaginaire, l'hypothèse de l'émotion comme opérateur paradoxal d'un attachement à la situation nous conduit-elle à comprendre autrement les modes d'articulation de l'imaginaire, de l'affectivité et de l'émotion?
Daniel GIOVANNANGELI: Passivité et altérité
Il s'agira de la question des conditions de possibilité de l'Einfühlung, à partir de la lecture que Ricoeur fait de la Ve Méditation cartésienne — et de la lettre de Husserl à Lévy-Bruhl.
Vincent GRONDIN: La phénoménologie de l'association: de la grammaire à l'histoire de la vie
En dépit de l'écart imposant qui sépare ces deux penseurs, Husserl et Wittgenstein ont milité en faveur d'une conception "descriptive" de la philosophie qui consiste à clarifier les concepts fondamentaux de notre langage (vérité, perception, signification, etc.) sans faire appel à des explications empiriques et causales. : Dans ce cadre, il est particulièrement intéressant de comparer la position que ces deux philosophes ont adoptée à l'égard de l'associationnisme - qui représente l'un des avatars les plus significatifs d'une conception explicative et non descriptive de la philosophie. Résumé d'une manière sans doute trop schématique, l'associationnisme tente de fournir une caractérisation philosophique de certains phénomènes tels que la perception en expliquant comment l'unité de l'objet perceptuel est en réalité le produit d'une série de mécanismes associatifs. Tout en s'accordant sur le fait qu'une telle entreprise philosophique doit être rejetée puisqu'elle se réclame d'un paradigme causal, la phénoménologie et la grammaire philosophique en tirent des conclusions diamétralement opposées. Chez Wittgenstein, le rejet de l'associationnisme classique dans la Grammaire philosophique et le Cahier bleu débouche sur une remise en cause du concept même d'association. Étant donné que la philosophie a pour tâche de clarifier le sens de certains concepts et non pas de produire une explication causale de certains faits empiriques, la notion d'association n'a aucun intérêt philosophique. Husserl estime au contraire que considérations génétiques ont leur place en philosophie, ce qui le mène à proposer, dans les Analyses sur la synthèse passive, une interprétation transcendantale et non mécaniste de l'association. Ainsi, certains phénomènes seraient le produit de synthèses associatives dont on pourrait reconstruire la "genèse" rationnelle et non causale.: à première vue, on pourrait être tenté de croire que l'approche de Wittgenstein est plus juste et cohérente. Il semble en effet très difficile de comprendre comment on peut réactiver le projet d'une explication associationniste et génétique de la perception sans faire basculer la phénoménologie du côté de la psychologie empirique et renoncer à l'idéal descriptif de la philosophie. En prenant pour échantillon l'analyse du phénomène du doute dans les Analyses sur la synthèse passive et Expérience et jugement, j'aimerais montrer qu'une telle critique est injustifiée. Loin de menacer le partage de la philosophie et des sciences empiriques, l'approche de Husserl est supérieure à celle de Wittgenstein puisqu'elle permet de produire une élucidation plus précise des concepts philosophiques en expliquant comment ils s'insèrent dans la trame de notre existence vécue. Ce parcours me permettra de montrer que les élucidations grammaticales de nos concepts que Wittgenstein appelle de ses voeux doivent être complétées par la prise en compte de ce que Husserl nomme l'histoire de la vie (Lebensgeschichte).
Maria GYEMANT: Le rôle du concept de Tendenz dans l'analyse husserlienne de la fondation à l'époque des Recherches logiques
Les Recherches logiques sont le livre où se décide le sort de la phénoménologie sur le fond de la lutte que Husserl mène à cette époque contre une conception psychologiste de la connaissance. Dans ce contexte, les Recherches logiques contiennent une tension fondmentale entre l'exigence d'une connaissance indépendante par rapport au sujet connaissant d'une part, et d'autre part la façon propre dont Husserl conçoit cette connaissance, dans la VIe Recherche logique, comme remplissement adéquat.: Le remplissement étant une synthèse dans laquelle une visée signitive et un acte d'intuition forment ensemble une unité synthétique qui est la connaissance de l'objet visé par les deux actes, Husserl le conçoit nécessairement comme étant un acte fondé. Cette fondation doit être cependant distinguée d'un autre type de fondation, celui qui est présent, par exemple, dans l'intuition catégoriale. Ici, une intuition catégoriale se fonde sur plusieurs intuitions simples sans pour autant qu'entre ces deux types d'actes il y ait remplissement. Si donc, tout remplissement, autrement dit toute connaissance, est un acte fondé, inversement, toute fondation n'est pas nécessairement une connaissance (car elle n'implique pas nécessairement un remplissement).: Je voudrais proposer dans mon exposé une analyse, à partir de textes contemporains aux Recherches logiques, de ce deuxième type de fondation qui présuppose à la fois que les actes fondateurs soient effectués et qu'ils ne soient, pour autant, pas effectivement vécus au même temps que l'acte fondé. Cette analyse s'appuyera sur un concept que Husserl utilise dans la deuxième et la troisième partie du volume XX/2 de Husserliana, qui contient des textes de 1913-1914 dans lesquels Husserl essaie de reformuler la problématique de la VIe Recherche logique: le concept de Tendenz. Ce concept d'origine psychologique, que Husserl hérite de Herbart, et utilisé dans les textes mentionnés pour rendre compte justement de ce type de fondation qui n'implique pas une activité thématique portant sur les actes fondateurs. La question sera de savoir qu'est-ce qu'une Tendenz et en quelle mesure on peut identifier là une certaine forme de passivité qui s'oppose radicalement à l'activité de la connaissance et qui se trouve néanmoins au fondement de celle-ci.
Carlo IERNA: Husserl's Psychology of Arithmetic
Edmund Husserl's first work, the Philosophy of Arithmetic, has been given a varying treatment in the long history of its reception. Some dismiss it as entirely psychologistic, others see the seeds of phenomenology in it. Accordingly, Husserl's development has been understood as marked either by a series of radical changes or by a strong continuity and progressive evolution. One of such radical changes is considered to be his "conversion" from psychologism to anti-psychologism, often attributed to Gottlob Frege's negative review of the Philosophy of Arithmetic. Contrary to this view, I think that we should consider the role and nature of psychology, and its relation to logic and philosophy, in Husserl's first work much more carefully. Indeed, in this work Husserl makes the transition from mathematics to the philosophy of mathematics, specifically to a philosophy heavily based on the methods of descriptive psychology of the School of Franz Brentano. When considering the development of the Philosophy of Arithmetic in its appropriate historical and theoretical context, we can notice what other commentators, such as Frege, might have missed and give a more balanced and positive assessment of the psychological methods and insights contained in the work. This, in turn, will also enable us to determine more correctly the connections to later developments in Husserl's thought, i.a. by showing the early origin of fundamental intuitions, such as the parallelism between subjective acts and their objective correlates, a theory of higher order acts, objects and relations, and the sharp distinction between the psychological and the logical "attitude".
Grégori JEAN: Passivité et passéité: le problème de l'habitude dans la phénoménologie de M. Henry
Si la phénoménologie de M. Henry est le lieu d'une réévalutation fondamentale du concept de "passivité", celle-ci trouve sa racine dans une relecture ontologique paradoxale du traitement que la psychologie biranienne fournit du phénomène de l'habitude: relecture ontologique, puisque Philosophie et phénoménologie du corps interprète explicitement l'habitude comme l'être même de la subjectivité; relecture paradoxale cependant, puisque c'est au prix d'un renversement complet de l'interprétation qu'en fournit le biranisme et, dans sa lignée, l'ensemble du "spiritualisme français": là où l'habitude, dans sa passivité caractéristique, se trouvait pensée comme le plus bas degré de l'activité, marquant ainsi son inscription dans l'empirie, c'est au contraire comme son fondement même — et comme son fondement proprement transcendantal — que le jeune M. Henry entend alors s'en saisir. C'est sur cette inversion que nous tenterons ici de nous concentrer, afin de montrer qu'elle ne trouve sa justification que dans le lien tout à fait original qu'il entend alors établir entre les phénomènes de l'habitude et de la mémoire, de telle sorte que, dans cette répétition temporale, la passivité se trouve surdéterminée par une passéité originaire permettant à Henry de rompre a priori avec toute "métaphysique de la présence".
Laurent JOUMIER: La théorie de l'association chez Hume et Husserl
Je pense proposer une intervention confrontant la théorie de l'association chez Hume (Traité de la nature humaine) et chez Husserl (Leçons sur les synthèses passives). Dans les deux cas, elle intervient dans le cadre d'une réflexion "critique" sur la possibilité et les fondements de la connaissance, et je pense notamment faire porter une partie de mon analyse sur la question du fondement de la relation cause-effet. Concernant la question du rapport psychologie-phénoménologie, il me semble qu'on ne peut pas faire de Hume un "phénoménologue sans le savoir", mais qu'il est quand même un précurseur de la méthode de réduction, lorsqu'il examine les "idées" pour elles-mêmes, séparément des "impressions", qu'il fait apparaître entre elles des "relations d'idées" qui annoncent les lois d'essence phénoménologiques, ainsi que des rapports associatifs passifs qui ne relèvent pas toujours de lois naturelles inductives.
Bruno LECLERCQ: Lois régissant les phénomènes: légalités noématiques, noétiques et hylétiques
Comme Brentano ou Stumpf avant lui, mais aussi très explicitement contre le psychologisme, Husserl s'est efforcé de distinguer nettement plusieurs niveaux de lois régissant la sphère phénoménale: sur le plan des contenus, on trouve des lois analytiques relevant de la logique et des lois synthétiques a priori relevant des éidétiques régionales ; sur le plan des actes, on trouve des lois d'essence propres à cette région ontologique particulière qu'est la conscience (domaine de la psychologie descriptive), des lois empiriques propres au fonctionnement particulier du psychisme humain, voire du système nerveux humain (deux domaines de la psychologie explicative) et des lois noétiques qui constituent tout à la fois le corrélat et le fondement des lois noématiques ou lois de contenu (domaine de la philosophie transcendantale) ; enfin, la sphère des synthèses passives semble elle aussi régie par des lois (proprement phénoménologiques ?), dont le statut ambigu rouvre peut-être la question du psychologisme.
Gabriel MAHEO: La question de l'amour chez Max Scheler: par delà l'activité et la passivité?
Si Scheler hérite son concept d'intentionnalité de Husserl, c'est en cessant de le comprendre comme pouvoir de constitution et pour y voir, au contraire, une structure d'accueil caractérisée par une passivité fondamentale. L'accent mis par Scheler sur la problématique de l'affectivité, comprise comme pouvoir de révélation des valeurs, implique alors une mise à distance aussi bien des conceptions naturalistes du sentiment issues de la psychologie traditionnelle, que du fondateur de la phénoménologie. Les valeurs n'étant "ni créées, ni détruites" (Le formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs, p.268, tr.fr. p.273), elles ne peuvent être que découvertes par les différentes fonctions du sentiment que sont la perception affective (Fühlen), la préférence (Vorziehen) et l'amour (Liebe), selon une passivité irréductible qui présente son mode d'intelligibilité propre. Parmi ces trois fonctions affectives de révélation, l'amour joue le double rôle de "pionnier et [de] guide" (Ibid.) dans l'ouverture du champ axiologique, et de mode d'accès spécifique aux valeurs personnelles du sacré: aussi semble-t-il constituer pour nous le terrain privilégié d'une investigation de la passivité chez Scheler. Ce dernier lui consacre en effet une large part des analyses de Nature et formes de la sympathie. L'amour se trouve cependant défini comme "mouvement psychique et acte spirituel" (p.278). Que peut dès lors signifier une telle affirmation redoublée de l'activité inhérente au sentiment d'amour, au sein même d'une philosophie qui pose la passivité comme structure de l'intentionnalité affective ? Par là, la réflexion schélerienne nous invite, à l'aune du problème de l'amour, à repenser les concepts même d'activité et de passivité; cela nous amènera à discuter à la fois la position de Scheler vis-à-vis de Husserl (avec la confrontation des concepts de constitution et de réalisation) et de la psychologie naturaliste (dans laquelle il inclut Freud), et à reconsidérer la critique que lui adresse Michel Henry au §64 de L'essence de la manifestation.
Noémie MAYER: Tension entre spontanéité et passivité dans l'étude sartrienne de l'émotion
Le but de cette communication est la mise en évidence de la tension prégnante entre spontanéité et passivité de la conscience dans l'analyse sartrienne de l'émotion. Il s'agira en effet de montrer, à travers ce thème, l'effort par lequel Sartre jongle entre la totale spontanéité de la conscience et une passivité qui s'immisce comme malgré lui au sein de sa pensée de la liberté absolue. : Pour ce faire, nous créerons un cadre évolutif qui débutera par le geste purgatoire de La transcendance de l'Ego, par cette démonstration acharnée de l'autonomie radicale de la conscience, qui dévoile pourtant déjà des marques latentes de passivité au coeur de l'affectivité, ce à travers l'introduction originelle du vocable "magique", cette "synthèse irrationnelle d'activité et de passivité", ce résidu de la spontanéité consciente projetée en l'Ego, qui caractérise les rapports entre la conscience et le psychique. Cette dimension "magique" prend toute son ampleur dans l'Esquisse d'une théorie des émotions, devenant la structure même du monde de l'émotion où se débat une conscience captive d'elle-même. Nous clôturerons ce mouvement avec L'Être et le Néant où, au-delà d'une captivité émotive introuvable explicitement, le cadre philosophique de la psychanalyse existentielle pose d'une manière nouvelle la question de l'émotion, l'intégrant dans un projet originel qui porte à son paroxysme la tension entre spontanéité et inertie de la conscience.
Antonino MAZZÚ: Le soi dans la maladie
Laurent PERREAU: Passivité et générativité chez le dernier Husserl
Sous la rubrique de la "générativité", le dernier Husserl thématise une "tradition transgénérationelle" qui les sujets entre eux à travers l'histoire. La générativité est ainsi au principe du devenir socio-historique et d'une certaine "sédimentation du sens". En revenant sur certains textes des années 1930, on montrera en quoi cette théorie de la générativité prolonge et renouvelle la théorie de la passivité développée dans le cadre de la phénoménologie génétique.
Denis SERON: La spontanéité de l'esprit est-elle un préjugé métaphysique?
La notion d'activité ou de spontanéité est-elle empiriquement justifiable? Je formulerai le problème - à ma connaissance éludé chez Husserl - de l'attestation phénoménale ou empirique de l'activité en partant de la 2e Gestalttheorie et des sciences cognitives, puis j'en envisagerai une solution empiriste proposée par Hume, Stumpf et, plus récemment, par Daniel Wegner.
Arnaud TOMES: Jean-Paul Sartre et la critique des fondements de la psychologie
L'Esquisse d'une théorie des émotions n'est pas seulement, comme son nom l'indique, une série d'hypothèses concernant la nature des émotions inspirées par la phénoménologie de Husserl: elle est également une critique des approches classiques de la psychologie, qui n'ont pas su voir dans l'émotion un phénomène possédant un sens humain. Elle nous oblige donc à revoir complètement la manière traditionnelle dont on faisait de la psychologie jusqu'au début du XXe siècle. Cet effort est très proche de celui que fournit un penseur contemporain de Sartre, que Sartre ne cite pourtant jamais dans son Esquisse: Georges Politzer, dont la Critique des fondements de la psychologie annonce par bien des côtés les critiques de l'Esquisse. Nous nous efforcerons donc de croiser les pensées de Sartre et de Politzer, afin de voir en quoi elles se rejoignent par leur critique commune d'une psychologie mécaniste et déshumanisante, mais se distinguent, en particulier par leur rapport à la phénoménologie.
Danilo Saretta VERISSIMO: Sur la notion de schéma corporel dans la philosophie de Merleau-Ponty: de la Phénoménologie de la perception aux Cours de Sorbonne
Tout au long de l'oeuvre de Merleau-Ponty certains dispositifs théoriques-anthropologiques prennent de l'importance et révèlent comment l'auteur se rapproche des sciences de l'homme, particulièrement de la psychologie, de la psychopathologie et de la psychanalyse. La notion de gestalt est la plus notoire parmi ces dispositifs. Nous pouvons également souligner les notions de fonction symbolique et de schéma corporel. La notion de fonction symbolique, qui commence à être traitée dans La structure du comportement, ouvrage publié en 1942, ne résiste pas à la critique opérée par Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception, publié en 1945. Dans ce livre, le déclin de la fonction symbolique est accompagné par les premières réflexions concernant la notion de schéma corporel, notion qui, désormais, occupe une position dominante dans les recherches réalisées par le philosophe. Dans cette étude, nous nous proposons d'établir une analyse comparative entre l'approche de la notion de schéma corporel dans la Phénoménologie de la perception et dans les Cours de Sorbonne, réalisés entre 1949 et 1952, et dédiés, surtout, à la psychologie de l'enfant. Dans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty critique le caractère associationiste qui a marqué l'émergence de la notion de schéma corporel dans la neuropsychiatrie au passage du XIXe au XXe siècle. Pour le philosophe, le sens vraiment fructueux de ce dispositif repose dans son caractère intentionnel. Merleau-Ponty opère une désubstantialisation de la notion concernée. De représentation ou de noyau cognitif organisateur de notre expérience corporelle elle passe à fonction pré-cognitive, expression de la perméabilité des parties de notre corps les unes en relation aux autres, et, également, de la perméabilité du corps au monde et à autrui. Après la Phénoménologie de la perception, cette perméabilité sera pensée de plus en plus dans les termes d'une "proximité vertigineuse" entre nous et les objets, entre nous et autrui. Le passage, que réalise Merleau-Ponty, de l'idée d'incarnation à la conception de chair commence à être conçu dans la période entre 1945 et 1952, et se nourrit de discussions concernant la corporéité à l'intérieur, principalement, de la psychologie de l'enfant et de la psychanalyse, ainsi que des réflexions concernant le schéma corporel. Dans ce contexte, la notion de schéma corporel, dont l'interprétation intellectualiste de représentation ou d'image de notre corps ne peut plus être soutenue depuis la Phénoménologie de la perception, ne se contente pas d'être conçue comme connaissance pré-cognitive de notre corps dans le monde: elle exige d'être conçue dans les termes de notre participation prodigieuse au monde, sens qui se met en évidence dans la période des Cours de Sorbonne.