Différence et Identité: Les enjeux phénoménologiques du "pli"
Colloque international organisé par l'unité de recherche "Phénoménologies" de l'Université de Liège, les 22 et 23 novembre 2004
Présentation des conférences
Lundi 22 novembre 2004
Jean-Michel COUNET : Les complications de l'histoire de la philosophie: Boèce, Bruno, Nicolas de Cues et Leibniz
Le couple complicatio-explicatio (repliement-dépliement)
apparaît dans la littérature philosophique latine chez Boèce
et dans la traduction par Jean Scot Erigène du corpus dionysien.
Pour Boèce le temps est l'explication de l'éternité;
il veut dire par là qu'en dépit des apparences le cours
du temps n'est pas chaotique mais est enveloppé par le dessein
éternel de la Providence qui s'y réalise parfois par des
causalités inattendues; il y a bien un ordre caché qui préside
à l'histoire des hommes, qui relie les événements
les uns aux autres et qui a son fondement dans l'éternité
divine. L'école de Chartres, dans ses commentaires des ouvres de
Boèce, va reprendre l'idée que le monde est l'explication
de l'unité divine comme les nombres sont l'explication de l'unité
arithmétique: en d'autres termes, les choses pré-existent
en tant que compliquées dans leur origine et la création
est un dépliement de la perfection interne de celle-ci. Nicolas
de Cues reprendra ce paradigme d'une façon systématique
lorsqu'il s'agira de penser les rapports entre l'un et le multiple sous
quelque forme que ce soit: l'un et les nombres, l'instant et les durées,
le point et les figures géométriques, Dieu et le monde,
l'esprit humain et ses concepts. Giordano Bruno développera cette
idée en lien avec la notion de monade et la transmettra à
Leibniz bien que celui-ci n'utilise pas le terme de complication proprement
dit. La communication s'efforcera de comprendre ce que peut réellement
apporter à la compréhension de l'émanation l'usage
d'une telle métaphore du pli et du dépli. Sommes-nous là
en définitive devant un simple jeu verbal qui consiste à
mettre un terme sur quelque chose qui échappe à toute véritable
compréhension ou au contraire s'agit-il une avancée effective
dans la compréhension des processus émanatifs? Y-a-t-il
simplement extension dans l'application de la catégorie complication-explication
au cours du temps ou bien la cette catégorie subit-elle également
des modifications importantes au cours de l'histoire au niveau de sa signification
?
Roland BREEUR : Pli et passion (Descartes)
Descartes définit la passion comme
une perception de l'âme qui se rapporte à une agitation
des « esprits animaux » dans les fibres du corps. Et il ajoute
que l'étroite alliance entre notre âme et le corps
rend cette perception confuse et obscure : car d'une part, c'est
« en l'âme » que l'on ressent la passion,
et d'autre part, sa cause renvoie à un corps lui-même
« tout à fait inanimé ». La passion est «
si proche et si intérieure à l'âme » qu'elle
l'affecte du dedans, mais la cause qui la produit ne reflète
en rien ce qu'elle ressent. Autrement dit, la passion nous interdit
d'éprouver notre corps comme machine inanimée, et
ce corps inanimé nous interdit de prêter aux passions quelque
valeur cognitive.
En résumé donc, si le corps nous est donné comme
vécu (et non comme machine), c'est en raison du « lien
» qui unit corps et âme, mais d'autres part, si les
passions demeurent obscures, c'est en raison du dualisme qui sépare
les deux. Ainsi, Descartes décrit l'origine de certaines
dispositions et inclinations des passions à partir de traces gravées
dans le cerveau, qui, dit Descartes, sont « comme les plis qui se
conservent en ce papier, après qu'il a été
une fois plié ». Décrire le rapport ambigu entre ces
pli et les passions de l'âme, voilà l'enjeu de
notre propos.
Laurence BOUQUIAUX : Plis et enveloppements
chez Leibniz
Rudolf BERNET : Un présent
replié sur le passé (Bergson)
Jean-François LAVIGNE : La
donation selon Jean-Luc Marion : pli ou déploiement ? (La question
de l'origine)
Sébastien LAOUREUX : De l'intentionnalité
au pli : le "sentir" selon E. Straus
Gregori JEAN : Le pli et le plat. L'idée d'un "tournant topologique" de la phénoménologie
Un schème géologique traverse
l'ensemble de la théorie husserlienne de la constitution. Le "monde",
présent d'un seul "tenant" à l'homme dans l'attitude
"naturelle", apparaît au regard phénoménologique
comme composé d'une pluralité de "couches" de
sens hétérogènes et néanmoins superposées.
La discontinuité introduite par cette "stratification"
n'est dès lors justifiée que par le recours à la
subjectivité transcendantale, seule capable d'établir, et
de manière univoque, de telles "coupures", mais qui n'est-elle
même accessible que dans une rupture radicale avec notre expérience
ordinaire. C'est pourquoi l'introduction progressive du concept
de pli, chez Merleau-Ponty notamment, pour repenser la subjectivité
en la réintégrant à un "plan" pré-objectif
"irréductible", n'a pas pour seule vertu d'assouplir
l'idéalisme transcendantal husserlien par la reconnaissance de
l'"incarnation" du sujet; elle permet surtout de rétablir
une profonde "continuité" dans l'expérience
phénoménologique, et par là même, de substituer
à la discontinuité de la "géologie transcendantale"
une "topologie ontologique" fonctionnant de manière continue
à tous les niveaux de l'être.
C'est ce tournant topologique de la phénoménologie que nous
questionnerons ici : en insistant sur l'inspiration structuraliste qui
commande, chez Merleau-Ponty lui-même, l'adoption de cette
topologie, nous tenterons de caractériser le pli comme praxis immanente
à une surface ontologique non-objectivable, et tâcherons
de souligner la triple fonction - différenciation, institution,
et individuation -, d'une telle opération; nous pourrons
alors nous interroger, en replaçant le concept de pli comme "subjectivation"
dans la dimension "historiale" que Foucault lui avait donnée,
sur la suffisante radicalité d'une telle topique pour répondre
phénoménologiquement à ce qui, aujourd'hui, semble
plutôt caractériser la "platitude" de notre inscription
dans l'être.
Mardi 23 novembre 2004
Françoise DASTUR : Ontologie
et différence chez Heidegger et Merleau-Ponty : le pli et le creux
Julien PIERON : Pli et "subjectivation"
chez Heidegger
Raphaël GELY : Pli et mouvement chez Merleau-Ponty
L'objectif de cette conférence est
de montrer de quelle façon le concept de pli est central pour saisir
l'importance et l'originalité de la phénoménologie
merleau-pontienne du mouvement. En articulant de concept de pli au concept
d'enroulement, il s'agira plus précisément de décrire
le pli merleau-pontien comme le lieu même où le mouvement
en sa dimension phénoménologique en vient à se potentialiser.
Entre le pliage et le dépliage, entre l'enroulement et le déroulement,
c'est à la mise en charge de l'espace que nous assistons. Le pli
apparaît dans cette perspective comme un noeud dans la chair du
visible à partir duquel des mouvements invisibles ne cessent de
se réaliser virtuellement. Fort de cette lecture, nous pourrons
alors dans un second temps interroger la lecture que Jacques Derrida propose
de la question difficile du rapport entre voir et toucher chez Merleau-Ponty.
Nous montrerons de quelle façon la lecture que nous avons proposée
du pli merleau-pontien dans la première partie de la conférence
permet de répondre à certaines des objections importantes
adressées par Derrida à la description merleau-pontienne
de la perception comme palpation à distance.
Arnaud BOUANICHE : Deleuze et le pli
organique. Sources biologiques d'un concept vitaliste
Florence CAEYMAEX : Foucault d'après Deleuze : un pli non-phénoménologique
Dans son portrait de la pensée de Foucault, Deleuze donne un relief particulier à la notion de Pli. Alors qu'elle fut essentiellement mise en œuvre par Foucault dans l'analyse du langage littéraire moderne (marqué par l'effacement du sujet classique), Deleuze en élargit le champ d'exercice ou d'application : il nous la présente, d'abord, comme un point d'articulation depuis lequel il est possible de voir comment « fonctionne » la pensée de Foucault dans son ensemble, c'est-à-dire selon ses trois dimensions (Savoir, Pouvoir et Sujet ou rapport à soi), ensuite comme le lieu abstrait depuis lequel la pensée foucaldienne semble faire signe vers une ontologie, et enfin, comme le point où se consomme la rupture de Foucault avec la phénoménologie. Bien que le grossissement de l'idée de Pli permette essentiellement à Deleuze de construire paysage intellectuel pour son propre compte — Foucault contribuant par là à forger ce que Deleuze appelait une « nouvelle image de la pensée » —, le phénoménologue est à nouveau interpellé. Au-delà du conflit déclaré — et pour une part « truqué » — de l'archéologie avec la phénoménologie, il apparaît que c'est dans le retour de la problématique de la subjectivité, que Deleuze rapporte à un plissement du Dehors, que l'affrontement de Foucault à la phénoménologie (Husserl, Heidegger, Merleau-Ponty) se dramatise. En dépliant à notre tour l'explication deleuzienne, nous montrerons que dans cet affrontement, c'est la position du problème de la temporalité et de l'historicité de la subjectivité qui est en jeu.
Grégory CORMANN : Pli et représentation. Quelques réflexions sur la phénoménologie à partir de Foucault et de Derrida
