Université de Liège Département de philosophie

Centre de recherches phénoménologiques

4e séminaire annuel 2010: Questions d'intentionnalité

Université de Liège, 3-7 mai 2010

Abstracts

Louis-Philippe AUGER, A. Gurwitsch: Entre phénoménologie et psychologie.

Dans sa thèse doctorale de 1928 (publiée en 1929), Aron Gurwitsch reprend le flambeau de la phénoménologie en tâchant d'approfondir les analyses husserliennes de l'attention développées dans les Ideen (1913). Fortement influencé par la seconde vague des théoriciens de la Forme, Gurwitsch cherche à approfondir certaines analyses des Ideen, qu'il considère alors comme partielles. Cette entreprise va de pair avec la redéfinition du concept de noème (et plus précisément du noème perceptif) en terme de thème et de champ thématique. L'objectif de mon exposé sera donc de comparer, en un premier temps, la conception gestaltiste et phénoménologique de l'attention telles que présentées par Gurwitsch dans sa thèse; il sera ensuite question du rôle de ces analyses des modifications attentionnelles quant à la redéfinition de la relation noético-noématique, en accordant une importance particulière au rapport du moment sensuel avec le noème perceptif.

Federico BOCCACCINI, Intentionnalité et intentionnalisme: Brentano et la référence mentale.

Franz Brentano a été le premier philosophe qui, après longtemps, a reformulé le problème de l'intentionnalité dans un cadre moderne de théorie de l'esprit. Une image figée de Brentano a moulé la communis opinio de la communauté philosophique: celle d'un Brentano philosophe de la vie mentale dont une préoccupation tout à fait capitale est de souligner ce qui est la marque des phénomènes psychiques, à savoir la capacité de tels phénomènes de se rapporter toujours à un objet. Dans une première phase il identifierait cet "objet" par la notion d' "objet immanent", une représentation interne de l'objet au dehors de l'esprit, alors que dans une deuxième phase il rejette l'immanence par la conviction que tel objet est toujours quelque chose de réel. Cet immanentisme de Brentano est devenu synonyme de représentationalisme et de mentalisme, positionne ensuite dépassée par la phénoménologie d'Husserl. Cependant, il ne nous a pas laissé dans son oeuvre une théorie substantielle de l'intentionnalité, mais des morceaux d'une théorie fragmentaire et dispersée. Très paradoxalement, même si Franz Brentano est connu comme le philosophe de l'intentionnalité, la place de cette redécouverte conceptuelle dans sa vie et dans les textes reste un point inachevé de sa philosophie. Dans quelle mesure donc est-il un représentationaliste? Et dans quelle mesure on-peut dire qu'il est un intentionnaliste? On verra que le sens de la référence intentionnelle chez Brentano, alors, est tout à fait différent de la visée husserlienne. Pour Brentano la référence mentale ne dépend pas de la référence linguistique car l'objectivité d'une idée - la matière d'une pensée - n'est pas déterminée ou individualisée par l'objet externe de la référence même, puisque, à différence du modèle référentialiste de la perception de Husserl, la référence intentionnelle chez Brentano n'est pas une relation. Mais, en même temps, l'internalisme de Brentano n'est pas complètement synonyme d'intentionnalisme. Le rapport entre référence intentionnelle et théorie des relations est le véritable enjeu de sa philosophie, difficile condition de fondation à saisir, enjeu à la croisée de la philosophie de l'esprit et de la métaphysique. Dans ma contribution, je voudrais montrer que intentionnalité et intentionnalisme ont des sens différents. Le sens de l'intentionnalité dans l'oeuvre de Brentano est reliée à la question plus générale qui porte sur l'origine et l'objectivité des idées et le rapport entre intuitions et concepts, véritable préoccupation capitale de sa vie de recherche. Je montrerai aussi que la notion d' "objet immanent", comme contenu d'une pensée, n'est qu'une expression pour indiquer l'objectivité d'une idée, question qui concerne la connaissance du monde externe et non pas l'ontologie d'un "objet" interne.

Grégory CORMANN, Emotion, réalité et langage. L'Esquisse d'une théorie des émotions de Sartre face à ses premières critiques.

L'Esquisse d'une théorie des émotions, dont une nouvelle édition largement commentée vient de paraître, est un ouvrage qui a longtemps été négligé par les commentateurs. Les articles, tous deux datés de 1950, de G. Stern et de F.J.J. Buytendijk font exception par la finesse des lectures proposées et l'importance des questions soulevées: pour le premier le rapport entre émotion et réalité, autrement dit entre affectivité et effectivité; pour le second, l'articulation entre émotion et expression. A partir de ces critiques fines, nous essayerons d'approfondir les enjeux principaux de l'intentionnalité affective sartrienne.

Dragos DUICU, La phénoménologie asubjective de Jan Patocka, une phénoménologie non-intentionnelle?

L'élaboration d'une phénoménologie asubjective suite à la réduction radicalisée qui est censée mettre hors jeu le sujet lui-même s'accompagne-t-elle d'une destitution sans droit d'appel de l'intentionnalité ? Notre visée sera de mettre en lumière la façon dont l'intentionnalité est raccordée par Patocka aux prémisses de cette phénoménologie d'un type nouveau qui est la sienne : loin d'être éliminée sans reste, ou supprimée sans qu'en soit conservée aucune trace, l'intentionnalité se trouve déplacée par rapport au cadre de la subjectivité transcendantale que lui avait assigné la phénoménologie husserlienne et restituée au niveau d'une théorie généralisée du mouvement , soit-il envisagé dans sa dimension existentielle ou cosmique (Jan Patocka, Qu'est-ce que la phénoménologie? Grenoble, Jérôme Millon, 1998 art. Le subjectivisme de la phénoménologie husserlienne et la possibilité d'une phénoménologie asubjective)
Devenue "mouvement de l'existence", l'intentionnalité est beaucoup plus qu'une propriété du sujet ou de certains de ses actes : le sujet n'a plus besoin d'être intentionnel puisqu'il est de part en part motricité et il ne lui faut plus viser quoi que ce soit, car le mouvement qui le définit est, comme tout mouvement, intrinsèquement et originairement orienté. D'autre part, dans une vision d'inspiration aristotélicienne, Patocka conçoit ce mouvement subjectif lui-même comme étant le prolongement nécessaire d'un mouvement cosmique, le mouvement d'individuation des étants dans le monde. (Jan Patocka, Le monde naturel et le mouvement de l'existence humaine, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, Boston, London, 1988, art La conception aristotélicienne du mouvement: signification philosophique et recherches historiques) De ce point de vue, le soubassement ultime de l'intentionnalité ainsi remaniée serait à chercher non pas dans les profondeurs d'une subjectivité transcendantale et constitutive, conçue comme un Nullpunkt der Welt, mais au niveau du monde lui-même, dont la subjectivité, dans le mouvement qui lui est propre n'est qu'un des deux pôles, à coté du mouvement cosmique.
Il reste pourtant à voir s'il s'agit là d'une coïncidence ou d'une identité des deux mouvements, subjective et cosmique, c'est-à-dire si l'on peut véritablement parler d'une intentionnalité cosmique qui nous traverse et qui devancerait ainsi le mouvement de l'intentionnalité subjective.

Julien FARGES, Le problème de la détermination phénoménologique de la conscience originaire chez Sartre et Husserl.

Cette communication se propose de revenir sur la discussion sartrienne de Husserl (telle qu'elle se formule depuis les premiers textes phénoménologiques de Sartre jusqu'à L'Être et le néant) et d'envisager à nouveaux frais l'alternative qui s'y construit entre deux conceptions de l'intentionnalité, en prenant appui pour cela sur le concept de réflexion et les difficultés qui y sont liées.
La singularité de la position occupée par Sartre dans le paysage phénoménologique tient en effet à ce que son rapport critique à Husserl est commandé par une appropriation originale de l'idée d'intentionnalité, qui le conduit moins à rompre avec le transcendantalisme qu'à le dissocier de toute perspective égologique fondamentale et, par là, de tout idéalisme. Or si la percée de la phénoménologie dans les Recherches logiques est indissociable du mouvement par lequel Husserl approfondit la conception brentanienne de l'intentionnalité en rejetant l'idée d'une perception interne au profit d'une accessibilité des vécus par modification réflexive immanente, la reprise sartrienne de la notion d'intentionnalité, articulée au projet "néo-réaliste" d'une philosophie de la transcendance, refuse pour sa part une telle perte du caractère originairement irréfléchi du vécu, et, sensible à l'altération que la réflexion fait subir à l'irréfléchi, va jusqu'à faire de ce caractère d'irréflexion la détermination fondamentale de la conscience originaire. Le concept de réflexion peut donc à l'évidence fournir un contrepoint pertinent pour élucider les enjeux et évaluer la pertinence de la promotion d'une intentionnalité "existentielle" au principe d'une phénoménologie constitutive qui déleste la conscience originaire de toute référence égologique et de toute auto-positionnalité réflexive.
Dans cette perspective, on s'attachera notamment à souligner l'ambiguïté du statut des Leçons husserliennes de 1905 sur la conscience intime du temps : déterminantes dans la genèse de l'idée sartrienne d'un cogito préréflexif, elles représentent pourtant un jalon essentiel dans le cheminement husserlien vers une phénoménologie transcendantale radicalement égologique. On tentera alors de ressaisir l'alternative phénoménologique instituée par la discussion sartrienne de Husserl à partir du problème de la régression in infinitum qui, dès les Leçons de 1905, semble inévitablement impliquée dans l'idée même d'une saisie réflexive de la conscience originaire. À en croire Sartre, les limites de la phénoménologie husserlienne se signaleraient dans son incapacité à conjurer cette régression, c'est-à-dire à interpréter le dédoublement réflexif autrement que comme une répétition de la différence entre immanence et transcendance intentionnelles à l'intérieur de la conscience originaire, ce qui la conduirait finalement à méconnaître la transcendance de l'ego et avec elle l'épaisseur concrète de l'existence mondaine. En convoquant notamment certains textes husserliens des années 30 récemment édités, on se propose de montrer comment Husserl désamorce par avance l'objection de régression in infinitum au profit d'une articulation entre conscience transcendantale et conscience empirique susceptible de justifier les capacités de l'idéalisme transcendantal phénoménologique à thématiser l'existence mondaine en sa facticité.

Fausto FRAISOPI, Co-intentionnalité en question.

En phénoménologie, et notamment à partir de 1913, la vie intentionnelle du sujet se déroule, selon Husserl toujours et constitutivement dans un horizon. L'horizon comme "ouverture des potentialités de déterminités possibles". L'expérience n'est jamais uniquement et simplement "expérience de quelque chose" au sens intentionnel classique de "Etwas zum Objekt haben". Cette expérience s'avère être, pour la phénoménologie, une expérience nécessairement et constitutivement expérience contextuelle en vertu de sa propre constitution noématique. L'indétermination de l'ouverture co-donnée et préfigurée par le sens devient un élément structurel de la forme noématique même, de la forme noématique de la perception mais aussi de toute forme noématique en tant que telle. La morphologie noématique conçue comme composante nécessaire de l'expérience en tant que telle, demande nécessairement des "composantes vides co-visées" et "fusionnées dans l'unité concrète d'une intuition externe". Or, y a-t-il une double visée constitutive de l'expérience du sujet ? Le co-visé s'avère être dépendant de l'acte de visé mais en même temps, en tant que contexte dicté par de circonstances qui décrivent les champs thématiques mêmes dans lesquels on peut faire expérience de quelque chose comme expérience pourvue d'un sens dynamique. En quel sens alors une morphologie noématique ou une ontologie régionale déterminent le sens de l'expérience singulière et en quel sens l'expérience singulière reconfigure toujours à nouveau la morphologie noématique qui fournit un sens dynamique à l'acte ? Le problème de cette Wechselfundierung intéresse directement le statut de la subjectivité comme subjectivité transcendantale et l'articulation, toujours difficile à penser et à catégoriser, entre synthèse active et synthèse passive.

Charlotte GAUVRY, Les limites de la lecture externaliste du meinen wittgensteinien. Une intentionnalité pratique et contextuelle.

La question du meinen est directrice dans l'oeuvre de Wittgenstein. Dans l'héritage critique de James et surtout de Russell, du Tractatus logico-philosophicus, des Remarques philosophiques, de la Grammaire philosophique aux Recherches philosophiques, Wittgenstein revient incessamment au concept central de meinen, souvent traduit par "vouloir-dire" (et non par "vouloir-penser", le concept étant essentiellement linguistique). En effet, chez Wittgenstein, il n'y a pas de langage sans "meinen". Une implication forte est posée, notamment dans le §20 des Remarques philosophiques : "Éliminez du langage l'élément de l'intention, c'est sa fonction tout entière qui s'écroule." Un tel constat, quoique considérablement reformulé, est maintenu, nous semble t-il, jusqu'aux Recherches philosophiques. C'est du moins ce que nous voulons défendre. On soutiendra ainsi, à contre-courant de la lecture introduite par Elizabeth Anscombe, poursuivie par Vincent Descombes, qu'il est bien question d' "intentionnalité" et non pas seulement d' "intention" chez Wittgenstein. Il y a une "anticipation" du dire chez Wittgenstein. On soutiendra donc, au prix d'une forte redéfinition conceptuelle de la notion, qu'il y a bien de l' "intentionnalité" ou plutôt un "vouloir-dire" pratique et anticipé à l'oeuvre chez Wittgenstein: dans la Grammaire philosophique mais aussi dans les Recherches philosophiques. Si le meinen wittgensteinien est pratique et contextualisé, s'il n'y a pas de prédétermination mentale ou de prédétermination du sens chez Wittgenstein, on soutiendra que Wittgenstein introduit cependant l'idée d'une anticipation, certes pratique, mais aussi constitutive du vouloir-dire.
On partira alors, du fait de l'arrière-plan indéniablement phénoménologique du séminaire, d'une analyse comparative entre la notion d'intentionnalité qui s'esquisse chez le jeune Heidegger et la notion de meinen travaillée dans les Recherches philosophiques de Wittgenstein. On insistera ainsi sur le caractère pratique et "anticipé" des deux notions. Pour autant, le rapprochement sera à nuancer et la notion même d'anticipation, telle du moins qu'elle est présente chez Wittgenstein, à préciser. On reviendra alors sur l'analyse que propose Stanley Cavell dans ses Voix de la raison pour interroger le rapprochement enthousiasmant mais problématique proposé entre le vouloir-dire wittgensteinien et la voix subjective qui anticipe tout vouloir-dire. On s'en méfiera cependant pour insister davantage sur le caractère contextuel et grammatical de l'intentionnalité wittgensteinienne.
Ainsi, notre analyse fera fond sur le constat de la vacuité du traditionnel partage entre internalisme et externalisme. On espère ainsi faire la part de l'origine subjective, objective, pratique et contextuelle de la détermination du meinen wittgensteinien.

Paul GOCHET, Are intentional verbs closed under implication?

Il est bien connu que l'opérateur correspondant au verbe "connaître" n'est pas fermé sur l'implication logique. De "A connaît les axiomes de Peano" et de "Les axiomes de Peano impliquent logiquement tous les théorèmes de l'arithmétique", il ne suit pas que A connaisse ces théorèmes. Qu'en est-il des autres verbes intentionnels tels que "désirer que" ou de verbes apparentés tels que "avoir l'intention de faire que", "veiller à ce que"? On peut aussi se demander aussi si ces verbes sont fermés sur l'implication causale. On examinera les réponses données à ces questions dans des contributions récentes à la logique de l'intentionnalité.

Maria GYEMANT, Repräsentation et intentionnalité: Sur l'impossibilité de purger l'intentionnalité de tout objet immanent.

Le concept husserlien d'intentionnalité naît sur le fond d'un critique parfois très virulente d'un certain type de psychologisme présent à la fin du XIXe siècle dans l'école de Brentano qui promeut la thèse d'une certaine immanence de l'objet à l'acte. L'objet visé par l'acte intentionnel n'est, selon Husserl, rien d'immanent à l'acte, mais l'objet réel, la chose même. Cependant, la construction positive d'une théorie de l'intentionnalité censée atteindre les choses mêmes semble toujours exposée au risque du retour de diverses formes d'immanence. Nous essayerons de mettre en évidence ce risque à l'aide d'un concept qui apparait souvent dans les textes de jeunesse de Husserl, le concept de Repräsentation.
Dans un texte de 1893 intitulé Intuition et Repräsentation, intention et remplissement (HUA XXII) Husserl propose une première définition de l'intentionnalité comme un acte qui contient une Repräsentation et, par là même, s'oppose à la simple intuition. Le concept de Repräsentation revient dans la Cinquième Recherche logique, sur le fond d'une critique de la thèse brentanienne selon laquelle tout acte se fonde dans une représentation. Cette fois, cependant, le concept est appelé en tant que synonyme de la matière intentionnelle, cette partie essentielle de toute intention objectivante et qui indique quel est l'objet visé et en tant que quoi il est visé. Puisque, depuis les Recherches logiques l'intuition est incluse aussi dans le domaine de l'intentionnalité, nous aurions tendance à conclure que la Repräsentation, en tant que matière de toute intention, ne s'oppose plus à l'intuition, comme dans le texte de 1893, mais constitue la matière de tout acte, y compris des actes d'intuition. Cependant, la Sixième Recherche logique nous enseigne que la Repräsentation ne se confond avec la matière intentionnelle que dans le cas des actes de signification. Dans le cas des actes d'intuition, la Repräsentation inclut, à côté de la matière, des contenus représentatifs, c'est-à-dire des aspects de l'objet qui ne tiennent pas à l'essence intentionnelle de l'acte mais qui constituent sa plénitude, jouant ainsi un rôle essentiel dans la synthèse de remplissement. Or, ainsi conçue, la Repräsentation rend immanents à l'acte, sinon l'objet entier, au moins certains de ses aspects.
Nous tâcherons, dans notre exposé, de retracer l'évolution du concept de Repräsentation, qui semble essentielle pour comprendre les transformations que la théorie husserlienne de l'intentionnalité subit dans cette première phase. Aussi, nous montrerons les dangers que ce concept entraîne là où il s'agit de concevoir une intentionnalité dont l'objet intentionnel n'est pas immanent, quoique certains de ses aspects soient inclus dans la Repräsentation.

Bruno LECLERCQ, Quand c'est l'intension qui compte: opacité référentielle et intentionalité

Les questions qui ont engendré, en philosophie analytique, la distinction entre sens (Sinn) et signification (Bedeutung), puis entre intension et extension, sont sensiblement les mêmes que celles qui sont à l'origine, dans l'école de Brentano, de la notion d'objet intentionnel. De Bolzano à Twardowski, chez Husserl et Frege, ce qui, par antipsychologisme, est en jeu, c'est le statut du contenu "objectif" des représentations, jugements et autres actes mentaux. Confrontés au double problème des objets inexistants et de l'opacité référentielle des contextes modaux et intentionnels, ces pionniers ont, avec quelques-uns de leurs héritiers, forgé les outils théoriques des théories concurrentes de l'intentionalité et de l'intensionalité.

Samuel LE QUITTE, Un modèle axiologique de l'intentionnalité?

Si toute conscience est conscience de quelque chose (etwas), ce "quelque chose" signifie en premier lieu la chose simple (Dinge), visée par cette modalité paradigmatique de l'intentionnalité qu'est la représentation. D'où la thèse brentanienne de la dépendance des Gemütsbewegungen à l'égard des représentations sous-jacentes (tout acte psychique étant ou supposant une représentation), confirmée par Husserl dans ses Cours d'éthique de Göttingen (cf. Hua XXVIII, p. 253, tr. fr. p. 334-335). D'où également les distinctions du § 37 des Ideen I entre Dinge (simple chose), Sache (toute chose en général), Objekt (l'objet intentionnel) et Gegenstand (l'objet saisi). L'intentionnalité des sentiments et le statut des objets intentionnels qui ne sont pas des choses (les valeurs) dérivent d'une intentionnalité première et fondatrice, conçue comme représentation d'une chose.
La distinction traditionnelle entre choses et valeurs oppose pourtant, d'un côté, des réalités naturelles existant empiriquement et, de l'autres, des entités qui n'existent qu'en tant qu'elles sont perçues par des agents, reconnues par des groupes ou des sociétés, vécues ou ressenties. Or, que sont ces entités, les valeurs, si ce n'est des objets irréels, in-existants, c'est-à-dire existant simplement intentionnellement ? N'est-ce pas, par conséquent, le mode d'(in)-existence des valeurs qui inspire et détermine le sens même d'intentionnalité de la conscience ? Il se pourrait alors que les valeurs soient le véritable schème explicatif de l'intentionnalité. Une telle hypothèse, étayée par la doctrine du noème (si le pommier en fleurs en tant qu'objet intentionnel, ne brûle pas, c'est parce qu'il est objet de perception et de plaisir à la fois) permettra de juger à nouveaux frais le reproche récurrent d'intellectualisme adressé à la théorie de l'intentionnalité (cf. Lévinas, Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, p. 58), de renouveler la discussion entre faits et valeurs (cf. H. Putnam ; J. Mc Dowell) et de proposer une nouvelle grille d'interprétation de l'intentionnalité, par-delà le débat classique entre intentionnalité linguistique et intentionnalité mentale (Sellars/Chisholm).

Fridolin NKE, Les miroirs de la conscience et l'exigence esthétique de l'anthropologie existentielle: Une lecture de L'Imaginaire de Jean-Paul Sartre.

Nous nous proposons d'exposer la théorie sartrienne de la conscience imageante à partir d'une analyse de son ouvrage intitulé L'Imaginaire. Cet examen de la fonction d'imaginer chez Jean-Paul Sartre va consister en deux axes principaux: premièrement, une évaluation critique des matériaux constitutifs du processus d'imagination; et, secondement, une évaluation des implications de la démarche intuitive, réflexive et de la conception même de la réflexivité de l'auteur de L'Imaginaire. Trois notions principales vont ressortir de nos analyses: (1) conscience imageante, (2) réflexivité, (3) altérité. Tout en essayant d'analyser distinctement ces notions, nous essaierons en même temps d'établir des liens nécessaires qui leur donnent sens dans la philosophie de Sartre. L'intérêt de notre réflexion est surtout esthétique et vise à montrer en quoi l'attitude qui se rapporte à l'idée d'une conscience réalisante est celle de "l'écoeurement nauséeux", alors que la fonction irréalisante de la conscience nous permet quant à elle de sonder le transcendant qui, précisément, mine le réel.

Claire PAGES, La critique de l'intentionnalité chez Levinas et Lyotard: sens et non-sens.

1. Une présentation classique de la philosophie française contemporaine veut que celle-ci se soit nourrie de la phénoménologie avant de s'en affranchir, pour se construire contre elle, comme elle se construisait, quoi que de façon bien plus radicale, contre la philosophie hégélienne. Ce geste et parcours seraient communs à Levinas, Derrida, Lyotard, Foucault, etc. On peut alors avoir tendance à gommer les différences marquantes qui séparent pourtant ces différentes critiques de la phénoménologie. Contre cette présentation, on se proposera de mettre en avant les signification et fonction opposées sinon divergentes que possède chez Levinas et chez Lyotard la critique de la notion phénoménologique d'intentionnalité.
2. Chez Levinas, en effet, la critique de l'intentionnalité nous semble conduite au nom d'une promotion du sens compris comme transcendance. Le rapport éthique instaure ce rapport transcendant à l'ordre du Même et du mien, soit une solution de continuité entre deux ordres, qui empêche d'aller de l'un à l'autre par un mouvement continu. Or la phénoménologie s'inscrit dans l'histoire de la philosophie occidentale comme destruction de la transcendance. Il arrive alors à Levinas de présenter une convergence entre les thématiques hégélienne et husserlienne, toutes deux étant l'aboutissement de cette tendance de la philosophie, elles qui partent du cogito comme terre de la vérité et sol de la philosophie moderne : "Ces structures marquent, en effet, le retour à soi de la pensée absolue, l'identité de l'identique et du non-identique dans la conscience de soi se reconnaissant pensée infinie, "sans autre" chez Hegel. Et selon un autre registre, elles commandent la réduction phénoménologique de Husserl où l'identité de la conscience pure porte en elle, en guise du "je pense", entendu comme intentionnalité — ego cogito cogitatum — toute transcendance, toute altérité…" (Entre nous, pp. 157-158.) L'intentionnalité est sans autre, raison pour laquelle l'éthique ne peut pas en partir. C'est pourquoi la Préface de Totalité et infini annonce le projet de penser une intention transcendante : "Si des relations éthiques doivent mener, — comme ce livre le montrera — la transcendance à son terme, c'est que l'essentiel de l'éthique est dans son intention transcendante et que toute intention transcendante n'a pas la structure noèse-noème. […] L'opposition traditionnelle entre théorie et pratique, s'effacera à partir de la transcendance métaphysique où s'établit une relation avec l'absolument autre ou la vérité, et dont l'éthique est la voie royale." (Totalité et infini, pp. 14-15.)
3. Au contraire, chez Lyotard, la critique de l'intentionnalité phénoménologique procède d'abord de la volonté de faire droit au non-sens. Pour le Lyotard de Discours, figure, le prisme de l'intentionnalité attache la philosophie à l'horizon de la conscience. Il se tourne alors vers Freud pour rompre avec cette phénoménologie qui, dans la sphère de la conscience, l'attachait malgré tout à l'horizon de la forme et à la détermination d'un sens. Freud l'aurait aidé à saisir ce que la phénoménologie merleau-pontienne ne pensait pas — le figural, premier idiome de la différence. Lyotard dit de la phénoménologie qu'elle lui est apparue insuffisante, quand il s'est agi d'aborder les symptômes et les oeuvres, en tant que celles-ci engagent une autre dimension que celle de la conscience — le figural. Au début de Discours, figure, il met en cause le biais par lequel on touche la chose même chez Merleau-Ponty. Si celui-ci a compris le caractère latéral de cet accès, en le déterminant comme existence — jugée trop proche de l'unité du sujet par Lyotard — il en bloquerait l'accès et resterait pris dans l'illusion du discours unitaire (Discours, figure, p. 19.) L'intentionnalité comme structure d'adresse consciente et unitaire ne peut s'approcher du figural qui est toujours désir, soit inconscient ou expression, c'est-à-dire aussi chose inquiétante et informe.De façon plus générale, l'intentionnalité phénoménologique semble à Lyotard tributaire d'une structure d'adresse qui ne rendrait pas compte de l'absolument inadressé qui prime dans le figural, l'intensité, ou l'affect.
4. Il apparaîtra que, à la lumière de la fonction différente que possède leur critique de la phénoménologie, défendre le sens transcendant de l'éthique ou faire valoir le non-sens inconscient, Levinas et Lyotard, ne visent pas la même chose dans la structure intentionnelle. Levinas pointe une structure sans altérité, quand Lyotard s'attarde sur la dimension consciente et la structure d'adresse.

Laurent PERREAU, En quel sens peut-on parler d'intentionnalité collective?

La question de l'intentionnalité collective (de son existence comme de ses modalités) a été largement discutée ces dernières années par la philosophie dite analytique, qui en a fait la clef de voûte d'une ontologie sociale renouvelée. Nous nous efforcerons dans un premier temps de restituer les enjeux de ce débat, à partir des propositions inaugurales de M. Gilbert et de ses critiques (Tuomela, Bratman, Searle, etc.).
Dans un second temps, il conviendra de restituer les ressources qui peuvent être celles de la phénoménologie sur cette question. A la suite des travaux de H. B. Schmid (Wir-Intentionalität, Alber, 2005), qui proposait une réponse heideggérienne autorisant une "reconstruction" du concept de communauté, nous aimerions revenir sur les réflexions husserliennes consacrée au "Nous", c'est-à-dire à la conscience d'une communauté intersubjective et/ou sociale. Il ne s'agira pas simplement de dresser l'inventaire des positions husserliennes, mais bien de voir ce qu'il y peut y avoir de problématique dans l'idée d'une "intentionnalité collective", en interrogeant ce qui se donne à penser, au titre de l'intentionnalité, sous tel concept.
Ainsi considérée, la question de l'intentionnalité collective constitue un motif de discussion particulièrement intéressant entre phénoménologie et philosophie analytique, ainsi qu'un point de rencontre possible entre philosophie et sciences sociales.

Pierre-Jean RENAUDIE, Rectitude et obliquité intentionnelle de l'Oratio phénoménologique: remarques croisées sur McDowell, Brentano et Husserl.

Dans une note de Having the world in view, McDowell oppose, selon un modèle rappelant très fortement la distinction classique entre oratio recta et oratio obliqua, notre façon habituelle de parler du monde d'un côté, et, de l'autre, une modalité proprement philosophique ou "transcendantale" de discours nous permettant de faire apparaître de façon réflexive la dimension intentionnelle de ce rapport au monde. Cette distinction semble recouper de façon particulièrement frappante celle que Husserl avait établie dans les Ideen entre attitude naturelle et attitude phénoménologique : la réflexion doit court-circuiter ce que l'on pourrait appeler la "rectitude" de l'intentionnalité naturelle qui rive la conscience à son monde, pour lui permettre d'exercer un regard "oblique" sur cette intentionnalité même, dont le propre est justement de se retirer à notre vue, pour n'apparaître qu'à un regard "phénoménologique".
Pourtant, cette approche réflexive de l'intentionnalité semble en un sens beaucoup plus proche de la démarche qui avait été celle de Brentano, dans la Psychologie du point de vue empirique, que de celle qui avait permis à Husserl de définir, dans les Recherches Logiques, un modèle proprement phénoménologique, et non plus psychologique, de description de la conscience intentionnelle. C'est au contraire, précisément, la critique des paradoxes que la réflexivité introduisait dans la thèse brentanienne d'intentionnalité qui avait alors nourri les analyses de Husserl, commandées par l'exigence d'accorder une description en première personne, et une radicalisation sans concession de la thèse d'intentionnalité. Cette communication se donnera pour tâche de restituer les termes de ce débat, afin de poser à la phénoménologie la question qui se situe à l'horizon du texte de McDowell : celle de savoir à quel type d'Oratio (recta ou obliqua) correspond son discours descriptif sur l'intentionnalité des phénomènes.

Peter REYNAERT, Phénoménologie et conscience phénoménale.

Je souhaite défendre la pertinence de la phénoménologie dans le débat contemporain quant à la possibilité d'une clarification de la conscience phénoménale. L'analyse donnée par la phénoménologie de l'intentionalité en termes de l'acte conscient, son contenu représentationnel et l'objet intentionnel soutient une conception non-représentationnelle de la conscience phénoménale, et en conséquence une distinction entre la qualité phénoménale de la conscience et les qualia. De façon encore plus décisive, la phénoménologie noétique reconnaît dans une conscience de soi (selfawareness) spécifiquement corporelle, qui consiste en des sensations localisées sur le corps vécu, la conscience phénoménale propre (expérience subjective) de l'incarnation. On soutiendra que la naturalisation éventuelle de l'incarnation réclame une explication radicale des conditions de possibilité de cette conscience de soi corporelle.
La phénoménologie conduit ainsi à la clarification de plusieurs problèmes centraux dans la discussion actuelle ayant trait à la possibilité de naturaliser la conscience:
a: une défense d'une conception non-représentationaliste de la conscience phénoménale
b: la distinction de la conscience phénoménale et des qualia
c: l'identification de ces derniers avec les propriétés phénoménales des objets représentés, et de la première avec la conscience de soi corporelle

Phenomenology's noetico-noematical analysis can help to distinguish phenomenal consciousness from so-called qualia. Phenomenal consciousness refers to the distinctive subjective character of conscious mental states, events and processes. Qualia are to be understood as phenomenal properties of the perceived object, and can in that sense be explained as elements of representational or intentional content (noema), in accordance with recent representationalism. More importantly, noetical phenomenology identifies a specific bodily selfawareness as the proper phenomenal consciousness (subjective experience) of embodiment. Phenomenology thus leads to the clarification of several central issues in the actual discussion about the possibility of naturalizing consciousness:
a: the distinction of phenomenal consciousness and qualia;
b: identification of the latter with phenomenal properties of represented objects and of the former with bodily selfawareness;
c: a non-representationalism concerning phenomenal consciousness.

Claudia-Cristina SERBAN, Michel Henry et la question du fondement de l'intentionnalité.

Notre contribution se propose d'examiner la critique de l'intentionnalité déployée par Michel Henry dans son article désormais célèbre, paru en 1995 sous le titre "Phénoménologie non-intentionnelle : une tâche de la phénoménologie à venir" (in L'intentionnalité en question, éd. par Dominique Janicaud, Paris, Vrin, 1995). Plus que d'une déconstruction sans reste de la phénoménologie intentionnelle, la démarche de Michel Henry relève plutôt, de façon assez surprenante, d'une tentative de fondation de l'intentionnalité, dans la mesure où il s'agit de reconduire celle-ci vers "ce qui la rend ultimement possible" (art. cit., p. 383). Autrement dit, cette critique ne s'exerce qu'afin de soumettre l'intentionnalité elle-même à un questionnement transcendantal, au lieu de se contenter de voir en elle la solution par excellence des problèmes de type transcendantal.
C'est ainsi que la critique de l'intentionnalité prend chez le philosophe français la forme d'une recherche de son fondement "plus ancien" et "non-intentionnel qui lui permet […] de s'accomplir" (art. cit., p. 383), dont la visée est par conséquent de montrer que "l'ultime possibilité phénoménologique de l'intentionnalité" (art. cit., p. 384) réside, paradoxalement, dans quelque chose de non-intentionnel. Pour pouvoir aboutir à cette conclusion radicale, Michel Henry se propose d'aller plus loin que le reproche heideggérien relatif à l'indétermination de "l'être" de l'intentionnalité, en avançant une question encore plus profonde : celle de son apparaître, de la manière dont l'intentionnalité est donnée à elle-même, donc de son auto-donation qui se confond avec son auto-apparaître. C'est cette question qui amène le phénoménologue français à répondre que "l'intentionnalité n'est pas un concept adéquat pour penser l'intentionnalité" (art. cit., p. 391), dans la mesure où "son auto-apparaître n'est pas l'apparaître de l'étant". Par là, Michel Henry refuse la solution husserlienne, illustrée par les Leçons de 1905, d'une intentionnalité longitudinale qui sous-tendrait toute intentionnalité transversale, puisque l'hétérogénéité des deux types d'apparaître qui viennent d'être mentionnés invite à chercher le fondement de l'intentionnalité ailleurs, du côté du non-intentionnel.
A ce dessein, il est nécessaire d'opérer une "contre-réduction" qui met hors jeu l'intentionnalité elle-même pour mettre à jour le fondement non-intentionnel de sa donation : le "pathos inextatique de la vie" (art. cit., p. 394) – une vie qui a sa phénoménalité propre, qui s'accomplit comme auto-affection et se reconnaît par conséquent (comme c'était déjà le cas dans l'oeuvre monumentale de 1963, L'essence de la manifestation) comme affectivité. De cette manière, la phénoménologie non-intentionnelle envisagée par Michel Henry se découvre dans son contenu positif comme phénoménologie matérielle explorant la phénoménalité propre de la vie : l'affectivité et l'auto-affection qui la caractérise. Et l'aboutissement ultime de cette critique de l'intentionnalité sera ainsi, de manière inattendue, une réappropriation de l'intentionnalité par la phénoménologie de la vie, du fait d'avoir montré que "l'intentionnalité n'est possible que comme vie intentionnelle" (art. cit., p. 397).

Denis SERON, Perspectives récentes pour une phénoménologie de l'intentionnalité: Enjeux et problèmes de fond (McGinn, G. Strawson, Horgan, Loar, Siewert, Kriegel, etc.)

Je dresserai un panorama de quelques développements récents des 'consciousness studies', plus spécialement sur la question très débattue de l'intentionnalité phénoménale. Je tenterai ensuite de montrer en quel sens ces développements, en réactualisant le projet brentanien et husserlien d'une phénoménologie de l'intentionnalité, soulèvent des problèmes essentiels auxquels Brentano et Husserl ont apporté, en leur temps, une contribution originale et peut-être précieuse pour les débats contemporains. Enfin, je tirerai des conséquences de caractère général concernant la question de l'intentionnalité.

Ovidiu STANCIU, Intentionnalité et manifestation : pour une double lecture de "l'a priori universel de la corrélation"

Si la tâche centrale de la phénoménologie consiste – tel que l'affirme de façon canonique la Krisis de Husserl – en l'élaboration de "l'a priori universel de la corrélation", il importe de remarquer que ce principe supporte une double lecture, ou, mieux, qu'il peut être saisi selon deux versants. Si traditionnellement, on privilégie le versant subjectif, qui fait de la corrélation la propriété de certains actes, précisément des actes intentionnels, il n'en reste pas moins qu'une interrogation visant à mettre en lumière son versant objectif, à savoir la venue du monde à l'apparaître, sa dimension constitutive de manifestation semble également légitime. Et ceci, particulièrement dans le sillage de Patocka, et de ce qu'on a pu appeler une cosmologie phénoménologique. Car si "le monde n'est pas seulement le monde qui est mais aussi le monde qui se montre" (comme l'affirme Patocka dans Platon et l'Europe, p. 39), la tentative d'expliciter l'apparaître du monde à partir de son être devient une voie d'accès privilégiée pour l'élucidation de la phénoménalité, le pendant nécessaire de l'approche intentionnelle. Certes, cette démarche ne pourra pas faire l'économie d'une interrogation sur le destinataire de l'apparaître, mais celui-ci apparaîtra seulement à titre de moment, fût-ce nécessaire et incontournable, et non plus comme un point de départ indispensable.

Basil VASSILICOS, Un fait injustifiable: How Else to Approach Sartre on Intentionality and Memory?

A cogent phenomenological theory of intentionality should be able to tell us not just about our access to past experience but also about any restrictions thereupon. The difficulty here lies in the different ways in which the past proves adverse to recollection. It is one thing for there to be a breakdown tout court of either semantic or episodic memory, such as when one becomes simply oblivious to a previously encountered word, face, or event. It seems to be something else entirely when one struggles to recollect a moment or an item from the past — being on the verge of reliving it — which in psychological terms seems to indicate a kind of "metamemory." While both of these cases, which may occur in almost any situation where one works through the past, represent the limits of the subjective capacity to relive the past, only the latter may be counted as an instance where where past experience resists being given anew, and yet signals its being forgotten.
To the extent that it constitutes a sort of heuristic failure of memory, the case of struggling to recollect or "metamemory" presents the phenomenology of memory with no small challenge; when one struggles to recollect what happened during a past event, something from the past is indeed given, albeit in an unfulfilling or inadequate fashion. How then to describe the experience of something on the verge of remembrance, which at the same time resists the subjective effort at recollection? Does not the fact that there can be such a heuristic failure of recollection force us to reconsider the role of and the restrictions upon intentionality in allowing for access to past experience?
A concern of this sort can be seen to underlie the motivations philosophers have had for looking at involuntary memories. Such memories prompt a reassessment of the primacy of intentionality in memory in particular, and of the aims of phenomenology of memory in general, insofar as they constitute an illustration of how there may be an experience of the past in spite of any subjective, intentional act. In other words, involuntary memories show how something from the past — be it a traumatic or apparently insignificant event — may appear independent of or even in opposition to any volitional, representational aims, for instance, to relive past experience. In involuntary memories, the success or failure of an effort to recover a lost or absent past would seem to be of little import; rather, involuntary memories are characterized by their foreignness to any will to recollect and their tenuous relationship to the context and situation within which they occur.
Involuntary memories hence raise serious worries for any notion of constitution of memorial experience and of the relationship between subjectivity, the past, and intentionality. It is this last worry in particular that this paper shall attempt to question. Are involuntary memories as fatal for the role of intentionality in recollection as they are made out to be? Do they entail a diminishment of the primacy of intentionality in memorial consciousness, with important repercussions for other forms of consciousness as well? Does one have no choice but to subscribe to Merleau-Ponty's critique to any role of "thetic" or express intentionality in memory in general, which would especially apply to involuntary memories in particular? Must we simply accept with the stark opposition Deleuze sets up between voluntary - i.e. failed - versus involuntary - i.e. successful - experiences of the past, and the complimentary implication that any intentional analysis of memory could only leave us on the wrong side of the 'force' and 'violence' of the involuntary, without which "thought is nothing"?
In taking up these questions, we shall explore a somewhat unusual perspective, namely by attempting to restitute a significant role for 'thetic' or express intentional consciousness in involuntary memories. This approach, if successful, shall point to some problems within — without taking anything away from the intrinsic interest of — those accounts of memory, like Merleau-Ponty's or Deleuze's, that may be said to privilege memorial institution above subjective constitution. The decisive issue will be whether the sort of intentionality at work in memory is solely at the service of the stale, reflective, and voluntary reproductions of the type that perjure and distort the past. If one avoids conflating the will with thetic or express intentional acts, as is often cautioned in the work of Jean-Paul Sartre, then the notion of intentionality seems to offer favorable prospects of accounting for the vibrancy, abruptness, and fascination of involuntary memories, without resorting to appeals to non-subjective memorial processes in which any sense of implication with or attachment to the content of involuntary memory seems difficult to locate.
To thus advance the case that the Sartrean conception of 'thetic,' intentional consciousness can be conducive rather than obstructive to a phenomenological account of involuntary experiences — and more precisely, the reliving of the past involved in involuntary memories — two claims will have to be established. The first is how Sartre's notion of desire, as experience of lack, crucially informs his theory of consciousness in general, and of memorial consciousness in particular, as involuntary or a-voluntary intentionality. These considerations will then set up an exploration of how the Sartrean model of intentional consciousness proves adept at plotting the distribution of phenomenal traits most salient to involuntary memories. The upshot of such an examination is a provocative phenomenological position on the relationship between behavioral control and intentional acts, that is, regarding how such a relationship may be conceived when involuntary memories constitute the rule rather than the exception in conscious experience.

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