UNIVERSITÉ DE LIÈGE

Faculté de Philosophie et lettres

 


Année académique 2004-2005 

 

Protocole du séminaire « Épistémologie et méthodologie des disciplines de Philosophie et lettres »

(tronc commun du D.E.A. en Philosophie et lettres)

 

Le séminaire portera, cette année, sur la question du sens.  Voici, en guise d’introduction, quelques-unes des questions que nous nous proposons de traiter.

 

1)       Une première série de questions concerne la spécificité de nos disciplines quant au problème du sens. Peut-on dire que nos disciplines se caractérisent par le fait que le sens est, pour elles, une notion centrale ? Il est évident que nous rencontrons sans cesse la question du sens : sens d’un mot, sens d’un texte, sens d’une œuvre d’art, sens de l’histoire, etc. Cette dimension herméneutique a-t-elle la même importance dans les (autres) sciences humaines ? Comment intervient-elle dans les « sciences dures » ? Certaines disciplines, en effet, semblent ignorer cette question. Par exemple, il ne serait pas très pertinent de s’interroger sur le « sens » d’une notion mathématique. On peut contester telle ou telle définition de la justice ou de la vérité, mais il serait absurde de contester la définition du produit scalaire. On peut aussi se demander ce qu’il en est de la question du sens en physique. Est-il dans ce domaine légitime d’affirmer, avec les positivistes, que « le sens d’un énoncé est sa méthode de vérification » ?

 

2)       Dans quelle mesure peut-on séparer l’objet de ses interprétations ? Peut-on, par exemple, parler du sens d’un événement historique sans y inclure l’ensemble des interprétations dont cet événement fait l’objet ? Peut-on espérer saisir le sens véritable, « authentique » d’un texte, d’une œuvre, etc., ou bien faut-il renoncer à réduire la multiplicité des interprétations ? Et s’il existe, que serait ce sens « authentique » ? Le sens que l’auteur a voulu donner à son œuvre ? Ce qu’il a voulu transmettre à travers son œuvre ? Faut-il dire, par exemple, que l’on découvre le sens d’un texte, ou qu’on lui donne du sens ? Faut-il dire, avec Umberto Eco, qu’« un texte vit sur la plus-value de sens qui y est introduite par le destinataire » ? Et s’il n’y a pas, dans nos disciplines « d’objet authentique », de « sens véritable » mais seulement des interprétations, comment peut-on distinguer une interprétation pertinente (ou correcte ?) d’une interprétation qui ne l’est pas ? Comment juger de la valeur des interprétations ?

 

3)       Comment faut-il penser le rapport entre le sens et son expression dans le langage ? Le sens d’une pensée préexiste-t-il à son expression ? Le sens est-il toujours « au-delà » de toutes ses expressions ? Qu’advient-il du sens lorsqu’on passe d’une expression à une autre, par exemple d’une langue à une autre. Le sens serait-il ce qui reste invariant quand on passe d’une langue à une autre ? Ou faut-il dire, au contraire, que le sens ne préexiste pas à son expression, et que la langue n’est pas seulement le révélateur mais aussi le générateur de la pensée ? Que veut dire « avoir un sens » ? Qu’en est-il d’expressions problématiques comme les noms propres, les performatifs, les expressions de vécus privés, les tautologies, etc. ? Ces expressions ont-elles à proprement parler un sens ? Que veut dire « être synonyme » ? Est-ce partager un sens commun, donc identique et invariant, ou bien la synonymie est-elle seulement une relation entre des expressions ?

 

4)       Ces dernières questions s’étendent aussi à la réception et la compréhension de la signification. Quel sens cela a-t-il de dire que la signification exprimée est la même signification qui est ensuite comprise ? Dans l’acte de compréhension, quelle part revient à la réception et quelle part à l’activité d’interprétation ?

 

5)       Quelle est l’unité de base du sens ? Est-ce le concept ? la proposition ? le discours ? le contexte général ? (Par exemple, le sens d’une proposition dépend manifestement du sens des termes qui la composent, mais on peut aussi soutenir, à l’inverse, que le sens d’un terme dépend de la proposition, du discours et même du contexte général dans lesquels ce terme intervient.) Peut-on affirmer, avec Wittgenstein, que « le sens, c’est l’usage » ? Y a-t-il des règles de la signification et, si oui, quel est leur statut ? Sont-elles des lois théoriques, ou seulement des règles pour des « jeux de langage » ?

   

6)       Enfin, peut-on envisager la constitution du sens sur le modèle d’une combinatoire ? Jusqu’où peut-on soutenir la thèse de l’atomisme logique, selon laquelle toute connaissance peut être énoncée en termes de propositions moléculaires, composées à partir de propositions atomiques exprimant des faits ultimes, indépendants, qui sont comme les constituants élémentaires de la réalité? Qu’en est-il de l’existence de « notions primitives », parfaitement évidentes, à partir desquelles on pourrait composer toutes les autres notions ? On retrouve ici une variante de la question du réductionnisme.